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cevable ? On peut former ainsi des habitudes, faire naître des réactions émotionnelles, mais on fait perdre à la moralité tout son intérêt intellectuel et toute son efficacité. L’individu construit la société comme la société l’individu. La nécessité de l’action morale résulte non de sa conformité à des fins antérieurement posées, mais de la nécessité de l’action elle-même, telle que l’aperçoit l’intelligence de l’individu occupée — telle celle de l’ingénieur ou du savant – à approprier exactement ses réactions aux situations, celles-ci étant perçues elles-mêmes et considérées au point de vue des tendances actives de l’individu. « La nécessité de la probité dans les affaires publiques ne repose pas sur un idéal transcendant de perfection personnelle, ni sur la réalisation de la somme possible de bonheur humain, mais sur l’économie, l’efficacité et la constance qu’on réclame à l’activité industrielle, commerciale, sociale du esthétique de ceux qui composent la société. » — Effort extrêmement intéressant et utile de morale concrète, saine et active ; mais doit-on perdre de vue pour cela le rôle des constructions théoriques générales. L’ingénieur même s’en passe-t-il ? — Waldo L. Cook compare les guerres et les guerres du travail, et, sans les excuser moralement, montre comment les violences des grèves résultent de l’état de guerre légalement reconnu et de la conscience de classe qui s’y développe. Il conclut au droit de la société d’intervenir pour en restreindre les dommages, à condition qu’elle intervienne, non dans un intérêt de classe, mais dans l’intérêt de l’ensemble. – A.-C. Pigon montre que l’Ethique de Nietzsche a souvent été défigurée parce que l’on a considéré comme absolument condamné par lui ce qu’il ne condamnait que comme moyen. Certaines choses, mauvaises en soi, comme la souffrance ou la tyrannie, ou la grossièreté, des masses, ont de bons effets, et il les chante ; la pitié même, par les actes où elle conduit, et la justice sont mauvaises, et il les conspue. Mais quelques textes épars indiquent que dans l’homme complet (le Surhomme, que, selon A.-C. Pigon, Nietzsche n’aurait pas exclusivement placé dans l’avenir), une certaine harmonie des vertus contraires était conçue, et que l’amour et la sympathie y eussent trouvé un rôle. — H.-W. Wright montre que la notion d’évolution vient compléter la création de la réalisation de soi. Depuis que l’on a abandonné le point de vue de Green qui distinguait un moi inférieur et un moi supérieur, la doctrine de la self-réalisation est devenue la doctrine du développement harmonieux des facultés et le danger est l’égoïsme. L’idée d’évolution nous conduit à distinguer des degrés successifs dans le développement de l’individu, et ainsi l’on peut, au nom de l’intérêt d’un moi plus évolué, à venir exiger des sacrifices du moi actuel. — Ray Madding Mc Connell étudie la question de l’intervention de l’État dans les relations domestiques et conclut à sa justification, au nom de l’intérêt social et du plus grand développement des individus. — À lire les comptes rendus relatifs Morals in Evolution de L.-T. Hobhouse, The theory of Good and Evil de Rashdall, et les Studies in Humanism de Schiller.

The Journal of Philosophy, Psychology, and Scientific Methods, édité par The Science Press Lancaster, 4e année, 12 septembre au 19 décembre 1907 ; 5e année, 2 janvier au 13 août 1908. — Ce qui frappe d’abord le lecteur cette année, c’est la tendance des philosophes américains à distinguer, dans les mots employés par les pragmatistes, des sens multiples, dans l’école pragmatiste des conceptions diverses ; c’est une décomposition du pragmatisme. Au moment où MM. W. James et Schiller, et après eux Bawden essaient de donner des exposés d’ensemble, où l’école de Chicago semble sceller son alliance avec James par la publication des Essays Philosophical and Psychological qui lui sont dédiés, les représentants même de cette école, s’attachent à montrer ce que le pragmatisme a de mêlé, et, disent-ils, d’incohérent. Seul M. Max Meyer de Missouri (V, 321) déclare que du point de vue pragmatiste, ces distinctions s’évanouissent toutes. M. Perry, de Harvard, avait commencé l’œuvre, M. Lovejoy, de Chicago (V, 5), la continue et découvre treize pragmatismes : à côté de la théorie de la signification qui peut se prendre d’ailleurs en des sens différents, suivant que les conséquences dont elle tient compte, dérivent des idées, ou sont fatales, il distingue encore une théorie de la vérité, des théories diverses sur les critères, et le temporalisme métaphysique du pragmatisme. M. Dewey, le chef de l’école, ne les cède pas à Lovejoy en subtilité (V, 85). James, dit-il, quand il parle des objets, définit leur sens (meaning) par leur réaction en face de nous ; il est réaliste ; quand il parle des idées, leur sens réside pour lui dans les changements qu’elles opèrent dans les objets, et il est idéaliste ; quand il parle des vérités, leur sens, c’est leur caractère agréable ou désagréable. De plus, James se sert-il de