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courante à l’époque de Saint Thomas (p. 87) ; nul n’ignore que Saint Bonaventure l’enseignait et bien d’autres avant lui. C’est encore Saint Bonaventure que l’auteur a sous les yeux sans paraître s’en douter (p. 184) et aussi Albert le Grand, à propos de l’introduction des formes dans le corps ; mais on nous présente cette page comme une réfutation anticipée de Rosmini. Ailleurs on se demande si Saint Thomas est sincère ou ironique dans un témoignage d’estime décerné à Maïmonide ; la question est surprenante. Rabbi Moyses est une source capitale de Saint Thomas, et l’influence en est sensible dans son œuvre, même lorsqu’il n’est pas cité. L’attitude de Saint Thomas à son égard a toujours été une attitude de déférence et d’estime. Il y a donc bien à dire sur tout cela. Et néanmoins l’auteur a fait une œuvre très méritoire en s’efforçant de ramener ceux que la scolastique intéresse à l’étude directe de Saint Thomas. Que les théologiens modernes substituent la Somme au manuel de Reinstadler, personne ne s’en plaindra. Et nous y gagnerons peut-être des éditions critiques et explicatives où les préoccupations dogmatiques n’apparaîtront pas nécessairement comme inconciliables avec une connaissance suffisante de la philosophie médiévale.

Du Luthéranisme au Protestantisme, évolution de Luther de 1517 à 1528, par Léon Cristiani. 1 vol. in-8 de xxi-403 p., Paris, Bloud, 1911. — « La Réforme, a dit Harnack, se conclut dans une contradiction ». C’est ce que le présent ouvrage se propose d’établir en opposant les deux termes de : luthéranisme et protestantisme. Étudier l’évolution de Luther et montrer comment après avoir conçu une religion de liberté, tout intérieure, sans prêtres, sans hiérarchie, sans organisation extérieure, il en est venu à reconstituer les cadres d’une nouvelle Eglise et ériger sa propre pensée en dogme intangible, tel est le plan que l’auteur s’est efforcé de réaliser. Il s’agit en somme pour lui d’établir cette conclusion dogmatique : une religion, dans la mesure où elle est vraiment « religieuse », doit inévitablement prendre corps dans une Église. Mais cette thèse ne nous est présentée que comme la conclusion qu’impose à l’esprit la constatation des faits historiques. L’auteur a fait un effort considérable pour atteindre à l’impartialité dans un sujet où son parti était pris d’avance, et il y a vraiment réussi. Décidé à parler de Luther avec une sympathie qu’il déclare lui-même « méthodologique », il semble avoir été parfois conduit à une sympathie réelle non moins conciliable que la précédente avec la liberté critique. C’est dans cet esprit que l’analyse des états d’âme différents par lesquels passa Luther se trouve abordée, analyse psychologique et doctrinale à la fois, les deux points de vue se confondant inévitablement dans bien des cas. Les exposés historiques qui nous conduisent de l’évolution intérieure de Luther à la constitution du protestantisme et à la fondation d’une Eglise d’Etat sont très précis en ce qui concerne la personne même de Luther ; ils le sont moins en ce qui concerne les circonstances extérieures, l’état du milieu social qui permet à la réforme intérieure de Luther d’engendrer un mouvement collectif dont la portée a été incalculable. Cette réserve n’est d’ailleurs pas destinée à diminuer la valeur de l’ouvrage, mais à préciser les limites dans lesquelles on aura intérêt à le consulter.

Étude sur la « Théologie Germanique », suivie d’une traduction française faite sur les éditions originales de 1516 et de 1518, par Maria Windstosser. 1 vol. in-8 de xi-218 p., Paris, Alcan, s. d. — L’opuscule anonyme publié pour la première fois par Luther en 1516 sous le nom de Theologia Deutsch, et dont les réimpressions ont été extrêmement nombreuses, méritait assurément de retenir l’attention des historiens. La monographie qui vient de lui être consacrée et qui comprend une étude sur la « Théologie Germanique », suivie d’une traduction de ce texte, n’était pas superflue, les travaux antérieurs n’étant généralement que des études partielles insérées dans les ouvrages relatifs à Luther et au mysticisme allemand. En tous cas le plan adopté par l’auteur semble épuiser plus complètement qu’on ne l’avait jamais fait l’ensemble des problèmes que soulève l’étude de ce livre célèbre. Texte, sources, influence de la Théologie Germanique sont successivement examinés ; mais il faut bien dire que de grosses difficultés sont subtilisées ou demeurent sans solution. La plus grave de toutes peut-être est relative au texte même ; celui qui nous est donné est celui de Luther, alors que le seul manuscrit subsistant donne un texte sensiblement différent. Sans aller jusqu’à suivre les historiens qui attribuent à Luther la paternité du traité, on peut et l’on doit se demander s’il n’en a pas rédigé une bonne partie. Du moins aurait-il été souhaitable que le lecteur français pût comparer les différents textes par des tables de variantes. Pfeiffer, qui a publié l’unique manuscrit de l’opuscule, prétendait avoir retrouvé le texte original. On nous dit que « cette opinion serait à dis-