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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE


SUPPLÉMENT
Ce supplément ne doit pas être détaché pour la reliure.
(No DE SEPTEMBRE 1912)



NÉCROLOGIE

Henri Poincaré.
(1854-1912)

Quand fut fondée cette Revue, avec le dessein peut-être ambitieux d’imprimer à la spéculation une direction déterminée, de travailler en particulier à restaurer dans notre pays l’unité des disciplines scientifiques et de la culture philosophique, ceux qui avaient assumé la responsabilité de l’entreprise, s’adressèrent à celui dont le nom était comme le symbole de la science elle-même. Henri Poincaré accueillit leur démarche avec une bienveillance qu’ils n’ont pas oubliée : l’audace de ces jeunes gens de vingt ans ne déplut point à son esprit généreux. Il voulut apporter, dès le début, à leur tentative, le concours de son incomparable autorité.

Puis, chaque année pour ainsi dire, avec une libéralité et une simplicité touchantes, Henri Poincaré répondit à l’appel que nous lui adressions. Presque le jour même où il est mort, il y a deux mois, paraissait, dans notre Revue, son dernier article. C’est véritablement sous son égide que la Revue a acquis ses titres scientifiques, et réuni autour d’elle un groupe de savants, ses collaborateurs et ses lecteurs.

On voit tout ce que la Revue doit à Henri Poincaré, et tout ce qu’elle perd avec lui. Le deuil qui la frappe est comme un deuil de famille. Dans la douleur que nous éprouvons, une consolation nous reste : peut-être la Revue de Métaphysique et de Morale a-t-elle, en quelque manière, contribué à enrichir l’œuvre, déjà immense, du grand mathématicien. Sans elle, sa pensée ne se serait peut-être pas orientée d’une manière aussi déterminée vers les problèmes de la philosophie des mathématiques. Tels de ses livres n’auraient peut être pas été écrits qui ont tant servi à populariser sa gloire.

La Revue entend rendre à Henri Poincaré l’hommage qui lui est dû : elle a sollicité, elle a obtenu le concours des savants les plus qualifiés pour étudier les divers aspects de son œuvre. Mais elle se devait à elle-même d’adresser tout de suite un suprême et douloureux adieu à celui par la mort duquel elle se sent irréparablement diminuée.

Alfred Fouillée.
(1838-1912)

Alfred Fouillée vient de mourir, après une longue vie remplie par une production abondante. Lorsqu’il inaugura, en 1867, sa carrière d’écrivain par sa Philosophie de Platon, que suivait bientôt sa Philosophie de Socrate, il semblait que le jeune écrivain dût renouveler toutes les audaces spéculatives d’un Schelling ou d’un Hegel. Mais les temps n’étaient guère propices. Taine publiait l’Intelligence, M. T. Ribot la Psychologie anglaise contemporaine, Littré passait presque pour un grand philosophe. Lorsque, bien peu d’années après avoir écrit son grand ouvrage sur la philosophie de Platon, Fouillée soutint sa thèse de doctorat sur la Liberté et le Déterminisme, il fut visible à quel point sa pensée avait été accessible aux influences régnantes. Dorénavant il adopta l’attitude d’un conciliateur entre cet idéalisme métaphysique et moral, point de départ de sa pensée, et les méthodes du positivisme scientifique, dont il subissait l’action croissante. Lange, Renan, Vacherot, avant lui, avaient suggéré de chercher un substitut à un déisme ontologiquement impossible dans l’action psychologiquement réelle de l’idée de Dieu, de la