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publications les plus récentes sur Jean-Jacques Rousseau se trouvaient résumées, fut tellement massacré par le censeur, qu’il n’en resta que des fragments informes. Le simple terme Pologne était suspect et le titre Kant en Pologne devint Kant chez nous. Rien de plus caractéristique, au point de vue de l’arbitraire avec lequel s’exerçait cette censure, que l’histoire du manuscrit d’Adam Mickiewicz, le grand poète polonais, mort il y a cinquante ans. C’était un traité sur Jacob Bœhme, que le fils du poète, M. Ladislas Mickiewicz, avait retrouvé a Paris, parmi les papiers de son père. Le « conseiller » exigea que ce manuscrit fût communiqué préalablement à l’autorité catholique compétente. Celle-ci, ayant compris qu’il s’agissait d’une œuvre ne présentant qu’un intérêt historique, accorda son imprimatur. Mais alors la censure intervint de nouveau, déclarant qu’elle ne saurait en autoriser la publication « au point de vue du christianisme en général ». — Le Przeglad compte environ 750 abonnés, chiffre qui reste à peu près stationnaire. Il boucle son budget à l’aide d’une subvention de la Caisse Mianowski, institution qui a pour tâche le développement du mouvement scientifique, littéraire et artistique en Pologne dans son sens le plus large, et qui est alimentée uniquement par des souscriptions.

Signalons encore, dans le même fascicule du Przeglad, une note sur Libelt, né en 1807 à Posen, mort en 1875, un des initiateurs du mouvement philosophique polonais.


THÈSES DE DOCTORAT

Thèses de M. Pierre Rousselot.

1. Pour l’histoire du problème de l’amour au moyen âge.

M. Boutroux invite M. Rousselot à donner au jury un bref aperçu de sa thèse.

M. Rousselot. J’entends par problème de l’amour le problème des rapports de l’amour de soi avec le pur amour d’autrui, et spécialement avec l’amour de Dieu. L’étude de ce problème aux xiie et xiiie siècles est particulièrement intéressante, parce qu’elle permet, d’une part, de suivre le développement, dans la théologie catholique, de la notion d’amour naturel de Dieu, qui joue un grand rôle dans la théorie du péché originel ; — d’autre part, de constater l’influence qu’ont exercée sur certaines doctrines des écoles, des conceptions qui









avaient garnie dans les cloitres, et qu’on retrouve, dans les écrits des ascètes et des rnsti(|iies, à l’état métaphorique et sentimental. On peut distinguer deux principales conceptions de l’amour, à la période que j’ai étudiée la conception physique ou gréco-thomiste, et la conception extatique. La première, exposée sou* sa forme la plus achevée par saint Thomas, maintient la continuité entre l’amou <̃ de soi et l’amour de Dieu en réduisant finalement, non pas le second an premier, mais le premier au second. – La concerlion extatique sépare violemment l’amour de soi et l’amour de Dieu. l’amour, pour les tenants de cette école, requiert une. distinction réelle entre l’aimant et l’aimé ; il est essentiellement violeni, blessant, contraire aux inclinations naturelles, et c’est pourtant lui qui met formellement l’aimant en possession de l’objet aimé. Cette manière de voir, qui pourrait sembler tout oratoire et littéraire, a pourtant donné naissance à plusieurs spéculations systématiques en théologie ; on en a tiré une théorie de la Création, une de l’Incarnation, une. de la Trinité, etc. C’est une nouvelle preuve de cette vérité, qu’au moyen age la spéculation scolaire et la vie mystique n’étaient pas aussi étrangères l’une à l’autre qu’on l’entend dire quelquefois. M. Boutrovx, après avoir loué le choix du sujet, qui est d’intérêt général, objecte que la théorie thomiste de la continuité de l’amour de soi et de l’amour de Dieu semble peu claire quand un homme se sacrilie ou pour l’humanité, ou pour Dieu, il y a substitution d’un amour à un autre, et non continuité. M. liousselot. La continuité est rétablie grâce à la théorie thomiste de la participation, que j’ai indiquée, mais non développée dans ma thèse. Pour saint Thomas, d’ailleurs, quand il s’agit de créatures inteltigentes, la nécessité du sacrifice ne peut être que provisoire et accidentelle. En cherchant Dieu, les esprits finissent par se retrouver, nécessairement. M. Boutroux. Mais comment peut-il y avoir continuité entre l’amour de soi, i’amour-propre, qui est inhérent à la nature, et qui induit l’homme au péché, et t’amour de Dieu, qui est un pur effet de la grâce ? M. liousselot. Il ne peut, en effet, y avoir continuité si l’on entend la tloctr im : du péché originel au sens des jansénistes. Mais la scolastique catholique admet qu’après le péché originel il reste dans la nature humaine des éléments de boute naturelle, inefficaces d’ailleurs dans l’ordre du salut.