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1° Il y a des couleurs composées comme il y a des sons composés, les accords musicaux.

2° Le vert est une couleur composée, formée par la combinaison du bleu et du jaune qui sont, avec le rouge, les seules couleurs simples.

I. Les adversaires de M. Brentano, alors qu’ils admettent la composition des sensations pour tous les autres sens, ouïe, odorat, goût, la rejettent en ce qui concerne les sensations visuelles, invoquant le principe de l’extériorité de ces sensations et s’appuyant principalement sur cette raison que le composé, dans le cas des sensations visuelles, ne ressemble pas aux éléments, contrairement à ce que l’on peut pour les autres sens. Ainsi le blanc, mélange de toutes les couleurs et qui devrait ressembler un peu à chacune d’elles, ne se rapproche d’aucune. Mais M. Brentano réfute cette objection en faisant observer qu’une même excitation produit dans divers organes des sensations différentes, et que, de même, en poussant plus loin le principe de la spécificité des fonctions sensorielles, dans un même organe complexe comme l’œil, on peut distinguer plusieurs appareils spécialisés suivant plusieurs fonctions particulières et produisant, pour une même excitation, des sensations différentes. Pour la vue en particulier, parmi ces multiples impressions qu’éveille tout rayon lumineux, outre la sensation d’une couleur spéciale il existe toujours une sensation plus ou moins forte de blanc. En sorte que, lorsque plusieurs couleurs frappent simultanément un même point de la rétine, alors qu’isolées chacune d’elles l’emporterait sur la légère sensation de blanc qu’elle contient et la ferait disparaître, la sensation totale formée par la somme de toutes ces petites sensations de blanc devient plus intense que chacune des autres couleurs et les domine. Quoiqu’il en soit de cette très ingénieuse conception qui rend compte de nombreux faits, elle porte seulement contre les théories qui, admettant le principe de la composition des sensations, contestent l’existence de sensations visuelles composées. On peut accorder à M. Brentano que son argumentation permet d’assimiler les sensations visuelles aux autres sensations, et qu’à l’égard des unes et des autres on peut au même titre parler de sensations composées. Mais qu’entend-il par cette composition ? Porte-t-elle, selon lui, comme selon Spencer et Taine, sur le phénomène psychologique lui-même, ou seulement, et en ce cas sa théorie conserverait toute sa valeur et sa portée sur les dernières conditions physiologiques du phénomène psychologique ? Il ne s’est pas expliqué sur ce point dans ce travail et il n’examine aucune des nombreuses difficultés que soulève, lorsqu’on l’applique aux phénomènes psychologiques, ce principe de la composition et de la combinaison, dont l’usage légitime se limite peut-être aux faits physiques et physiologiques.

II. Les théories que combat M. Brentano dans la deuxième partie de son travail considèrent quatre couleurs comme simples : le bleu, le jaune, le rouge et le vert, auxquelles on peut ajouter le blanc et le noir, et donnent à cette classification une base physiologique en rattachant la production de ces six sensations primitives, opposées deux à deux, le bleu au jaune, le rouge au vert, le blanc au noir, à trois processus d’assimilation et de désassimilation distincts. Malgré la simplicité apparente de ces conceptions séduisantes, M. Brentano entreprend de les réfuter, en s’appuyant à la fois sur les faits et sur les principes. Le vert, dit-on, n’est pas un ton jaune-bleu, car si l’on projette de la lumière bleue et de la lumière jaune sur un écran on n’obtient pas un vert mais un gris. Or M. Brentano, reproduisant cette expérience, a obtenu, grâce à un dispositif spécial, un gris tirant nettement sur le vert, et il en explique la faible saturation par l’apparition simultanée, et par contraste, d’un peu de rouge qui en neutralise une partie. De plus, une observation, attentive (et le témoignage des peintres) montre que le bleu ne s’oppose pas au jaune mais à l’orange, et le violet au jaune, c’est-à-dire à une couleur simple une couleur composée du mélange des deux autres couleurs simples. Se fondant sur ce fait, et invoquant le principe de J. Müller relatif à la spécificité des organes des sens, complété par la notion de la spécificité des genres de sensations à l’intérieur d’un même sens, M. Brentano propose la théorie suivante. À chaque qualité sensible correspond une fonction physiologique, et à chaque processus de désassimilation lié à l’apparition d’une sensation succède un processus d’assimilation. Mais si l’assimilation des organes correspondant aux diverses fonctions de la vue dépend d’une même source, à une très forte désassimilation de l’un d’eux succédera un très intense processus d’assimilation qui, ne recevant pas immédiatement de la source principale à laquelle il est rattaché les éléments dont il a besoin, les empruntera aux organes voisins, produisant ainsi des processus de désassimilation secondaires