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mécanique, M. Pikler les applique à la psychologie : tout état mental tend à se conserver ; tout état mental est produit par deux tendances contraires. Un fait fréquent, l’attente, nous révèle ces deux principes. Toute impression laisse derrière elle (loi d’inertie) non seulement une représentation et un souvenir, mais une attente : nous jugeons possible son retour. Mais nous ne le jugeons pas nécessaire : c’est qu’en même temps nous jugeons possible la venue de l’impression contraire. Même lorsque notre prévision est certaine, l’idée de l’événement contraire, pour être niée par cette prévision, n’en est pas moins présente. Lorsque je dis : « il fera beau demain », cela signifie : « il ne fera pas laid » : je veux tout autant combattre une fausse prévision que défendre la vraie (loi de contrariété). Ces considérations, suggérées par l’attente, sont valables pour toute affirmation (et tout fait mental contient une affirmation). Une force ne passe à l’acte qu’en triomphant de la force contraire : de même une affirmation ne s’impose qu’en triomphant d’une négation. Affirmation et négation sont toujours simultanées, toujours en conflit. La vie mentale est l’histoire de ces conflits. Vaincue par une ennemie, une affirmation passe au second plan, mais demeure vivante : des circonstances plus favorables la ramènent-elles au premier, nous avons un souvenir. Durant son « sommeil », cet état devient une représentation. La représentation n’est pas, comme on le dit souvent, une image appauvrie de la perception : c’est la perception tout entière, mais paralysée par une perception contraire. Il existe bien des images, fragments incohérents de représentation, mais il ne faut pas les confondre avec les représentations elles-mêmes auxquelles la loi d’inertie conserve, dans le subconscient, toute leur richesse, et qui seules peuvent expliquer la reconnaissance des souvenirs. D’autre part, la loi de contrariété explique maint phénomène : la perception, car nous n’avons conscience d’une perception que si, contraire aux autres, elle tranche sur leur masse ; l’induction, car l’induction ne consiste pas simplement à réunir les conditions d’un phénomène, mais à les distinguer des antécédents inefficaces ; le désir, car il implique une opposition entre le réel et l’idéal ; enfin l’action, car, outre qu’elle est impossible sans induction et sans désir, elle consiste en un choix qui suppose la perception simultanée de deux contraires. Il n’est guère de fait psychologique qui échappe, au dire de l’auteur, à sa double loi d’inertie et de contrariété.

L’opuscule de M. Pikler a le mérite d’attirer l’attention sur des faits trop rarement étudiés : tel ce phénomène de l’attente, que les psychologues paraissent ignorer, comme si la représentation de l’avenir était pour nous sans intérêt. La thèse générale qui consiste à calquer la psychologie sur la mécanique appelle des réserves. Sans doute, l’auteur, dans un écrit si bref, n’a pu donner toutes ses preuves expérimentales. On lui reprochera néanmoins de préférer la déduction à l’observation. Peut-être aussi se fait-il quelque illusion sur la nouveauté de ses théories. Bien qu’il en donne une traduction dans le langage de la physique, c’est dans les écrits des métaphysiciens rationalistes qu’il en pourrait trouver l’expression la plus nette. Que toute idée tende à durer, que toute idée soit un jugement, et tout jugement une force, c’est ce qu’accorderait aisément un admirateur de Spinoza. Et les logiciens n’ont-ils pas souvent observé que toute affirmation enveloppe la négation de la proposition contraire ? L’originalité de M. Pikler réside surtout dans son langage. Il paraît prendre plaisir à altérer le sens des mots. D’après lui, on peut attendre un phénomène passé ; « réel » signifie « élémentaire » et « phénoménal » devient synonyme de « virtuel ». Mais ce langage singulier ne doit pas nous faire oublier l’ingéniosité avec laquelle l’auteur a mis en lumière le rôle important de l’antagonisme dans la vie mentale.

Vom Messias. Kulturphilosophische Essays, par R. Kroner, N. V. Bubnoff, G. Mehlis, S. Hessen, F. Steppuhn ; 1 vol. in-8° de v-77 p., Leipzig, Engelmann, 1909. — Les auteurs de ce petit livre se sont attaches à déterminer le sens du messianisme. Pour eux, ce terme désigne, non seulement une certaine attitude religieuse, mais tout espoir prophétique en une rénovation de la civilisation : notre époque, comme celle de l’alexandrinisme, est sans idéal ni substance spirituelle (p. 5). M. Bubnoff analyse finement les sources psychologiques du messianisme de Fichte, de sa foi en la mission de l’Allemagne. Les deux derniers et les plus intéressants essais sont consacrés à Herzen et Solowjof : on y voit Herzen, d’abord fanatique de l’Occident, se rapprocher des Slavophiles (que M. Hessen a tort d’appeler Panslavistes) et considérer le peuple russe comme le peuple chargé de faire la révolution morale et sociale en explicitant ses principes de vie, pour régénérer ensuite l’Occident. M. Steppuhn indique l’influence du traditionalisme romantique et