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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE


SUPPLÉMENT
Ce supplément ne doit pas être détaché pour la reliure.
(N° DE JUILLET 1909)



NÉCROLOGIE

De Suisse nous vient la nouvelle de deux morts. Ernest Naville est mort, âgé de quatre-vingt-douze ans. Fils d’un pasteur, et pasteur lui-même pour commencer, c’est en 1839 qu’il avait été fait licencié en théologie, en 1844 qu’il avait commencé de professer à l’ancienne Université de Genève. Destitué en 1848 par le parti radical, sa carrière libre et active commence alors. Riche propriétaire, il reboise les flancs du Salève. Pédagogue passionné, il fonde un « Collège libre » à Genève, pour l’application des méthodes du père Girard. Grand travailleur, il passe de longues années à déchiffrer les manuscrits de Maine de Biran. Citoyen actif, il fonde une association pour obtenir à Genève la représentation proportionnelle. Toujours profondément attaché à la foi chrétienne, ses conférences sur la Vie Éternelle, sur le Père Céleste, sur le Problème du mal, sur le Christ, firent date dans l’histoire intellectuelle et religieuse de Genève. Puis vint la période des livres proprement philosophiques : la Logique de l’Hypothèse (1880), le Libre Arbitre (1890), la Physique moderne (1893), la Définition de la philosophie (1894), les Philosophies négatives (1900), les Philosophies affirmatives (1909). Grand philosophe ? Non peut-être : mais digne de jouer avec éclat son rôle de patriarche philosophique dans une ville très patriarcale. En même temps que lui, tout près de lui, mourait J.-J. Gourd, âgé de cinquante-huit ans seulement, et qui représentait l’hétérodoxie religieuse à l’Université de Genève, comme Naville représentait l’orthodoxie. D’origine française (il était né dans la Dordogne), il avait soutenu sa thèse de baccalauréat en 1873, sa thèse de licence en 1877, et professait, à l’Université de Genève, un cours de philosophie morale, quand, à la mort d’Amiel, en 1881, il devint titulaire de la chaire principale de philosophie. Penseur très systématique et difficile avec lui-même, il n’a, croyons-nous, publié qu’un seul ouvrage, son livre sur le Phénomène, paru en 1888. La Revue de Métaphysique et de Morale s’honore de l’avoir, à deux reprises, fait sortir du silence, et publié en 1897 ses trois articles sur les Trois Dialectiques, en 1902, son étude sur le Sacrifice.

En Écosse, nous avons pareillement deux morts à déplorer. L’Écosse, depuis qu’elle a émergé de la barbarie, s’enorgueillit d’être, au sein même du Royaume-Uni, la patrie des philosophes et des métaphysiciens : et ce sont deux métaphysiciens qui viennent de disparaître. Simon Somerville Laurie avait professé longtemps à l’Université d’Edimbourg, non la philosophie, mais la pédagogie : la deuxième édition de ses Institutes of Education, où il résume sa doctrine en ces matières, a paru en 1899. C’était, d’autre part, un philosophe systématique, original et obscur, auteur d’une Philosophy of Ethics (1866), d’un ouvrage intitulé Certain British Theories of Morals (1868, et surtout de deux grands ouvrages, intitulés, le premier : Metaphycice nova et vetusta (1884), le second : Synthetica : being Meditations epistemological and ontological (1936). La Metaphysice a eu les honneurs d’une traduction française, dont notre collaborateur, M. G. Remacle, fut l’auteur. Presque au même moment que A. Laurie, et beaucoup plus âgé que lui, mourait près d’Edimbourg le Dr Hutchinson Stirling, qui fut un ami de Carlyle, et qui dans la langue hérissée de Carlyle, travailla le premier à faire connaître en Angleterre la doctrine de Hegel. Bien des années devaient s’écouler entre la publication de son Secret of Hegel et le moment où l’enseignement de Thomas Hill Green fonda définitivement à Oxford l’école hegelienne, ou néo-kantienne. Ce