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par exemple, font, eux aussi, des expériences et des hypothèses. Ils expérimentent comme les mystiques un certain sentiment de l’absolu et de parfait. Mais ce sentiment, ils veulent le fonder, l’intellectualiser. Ils construisent donc des systèmes hypothétiques. Systèmes fragiles et contradictoires, et qui se heurtent à de grosses difficultés théoriques. Mais le sentiment qui les crée est un sentiment réellement éprouvé. Enfin, ce sentiment devient, pour certains hommes, qui n’ont pas besoin de lui donner une forme intellectuelle, le principe de l’activité morale. Ils utilisent pour l’action morale « l’élan vers le parfait » sans faire aucune hypothèse sur la nature ni sur l’origine de cet élan, ou du moins sans donner de l’importance aux hypothèses qu’ils peuvent faire là-dessus.

Cette première partie du livre de M. Hébert renferme beaucoup de renseignements intéressants. C’est une utile contribution à la psychologie religieuse. Il convient de signaler surtout le chapitre vii (Sur la personnalité divine).

2° Cette enquête aboutit à des vues générales et à des « conclusions » assez vagues sur la nature et l’avenir du sentiment religieux. Voici, ce semble, les principales idées que M. Hébert exprime dans une langue qui n’est pas toujours correcte (v., par exemple, p. 34, ce que nous dit M. Hébert de « l’angle visuel mental » ) : 1° Il est d’une mauvaise méthode d’étudier, comme font les sociologues, les manifestations du sentiment religieux en elles-mêmes. Il ne faut pas les isoler de l’activité créatrice qui leur a donné naissance. L’élément essentiel de la religion est psychologique. Partant, on ne doit pas parler de « survivance » et « d’évolution » religieuse, comme si les phénomènes religieux évoluaient indépendamment de cet élan vers le mieux qui sans cesse les crée et les renouvelle. 2° L’idée du mieux absolu ou du Parfait se distingue profondément de l’idée du mieux empirique (réalisation d’un progrès partiel, d’une amélioration utilitaire). À cette idée correspond ce sentiment « sui generis » qui chez les mystiques s’exprime en émotions, chez les intellectuels en système, chez les « actifs » en action et dont les dogmes religieux sont l’expression symbolique et toujours inadéquate. 3° On ne voit pas pourquoi les formes du Mieux absolu et du Parfait qui sont véritablement des « organes spirituels de l’homme » (p. 283) disparaîtraient, s’il est vrai que l’idée du Mieux absolu est irréductible à l’idée du progrès empirique. Si la forme dit parfait est une catégorie comme la forme de l’espace, il est permis de croire à la légitimité et à la pérennité de la religion. 4° Ce qui est destiné à disparaître, ce sont seulement les religions autoritaires. Les dogmes traditionnels ne sont que des symboles usés, et qu’on n’a pas le droit d’imposer à la conscience religieuse moderne. Il est probable que le peuple se créera des formes religieuses selon sa propre sensibilité. « La formule marxiste serait vraie de la religion comme de tout le reste. L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Les églises autoritaires feront place aux libres groupements religieux (p. 285).

Telles sont, semble-t-il, les conclusions de M. Hébert. Elles ne sont pas très instructives, du moins sont-elles loyales. Comme dit M. Hébert, « ceux qui redoutent que l’on n’aboutisse de la sorte à un esprit religieux sans corps et sans action devraient du moins penser qu’il est plus honnête de chercher à incorporer cet « esprit » dans telle réunion de Maison du peuple, par exemple, que dans une assemblée catholique ou protestante orthodoxe dont on ne peut plus faire partie qu’en jouant sur les mots ou en trichant sur leur sens ». Sans doute, c’est plus honnête. Mais faut s’entendre sur la véritable nature de cet esprit qu’on nous parle d’ « incorporer » à une réunion d’ouvriers socialistes. On ne retient plus les formes du culte chrétien ; on n’en retient pas davantage le fond, puisqu’on ne croit plus à l’efficacité de la prière. Il semble bien que l’émotion religieuse, telle que la définit M. Hébert, vienne se confondre avec l’émotion esthétique. C’est la musique qui exprime de la manière la plus directe le « divin » tel que l’entend M. Hébert ; et ces « libres groupements religieux » dont il parle, on ne voit pas assez par où ils se distinguent de la « Schola Cantorum » ou de la « Société Bach ».

Au demeurant, le livre de M. Hébert, quoique incertain dans ses conclusions (son ouvrage sur l’Évolution de la Foi Catholique avait une autre portée) est un livre intéressant pourtant, parce que l’intelligence de M. Hébert reste très pénétrante, et surtout singulièrement loyale.

De la croyance en Dieu, par Clodius Piat. 1 vol. in-16 de vii-286 p., Felix Alcan, Paris. — « Il faut recouri aux lumières de la Raison, et pourtant la Raison ne suffit pas » (p. 178). Telles sont les deux thèses exposées dans cet ouvrage. La seconde est de psychologie, et décrit le mysticisme comme un fait de l’âme. L’analyse est nourrie de citations de saint Augustin, sainte Thérèse, Newman, Taine, Renan, W. James, Bourget, Denys