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et la loi sociale, la justice morale et la justice sociale : elles n’ont guère de commun que le nom. Il est donc absurde de vouloir que les lois sociales se règlent sur la conscience : et c’est là la condamnation de tous les utopistes, révolutionnaires ou non. Il est tout aussi absurde d’ailleurs de vouloir régler la conscience sur les lois, ou par les lois : et cette fois, c’est la condamnation de toutes ces intolérances. La reconnaissance de cette double vérité nous éviterait bien des heurts et des tiraillements inutiles.

Maintenant cette distinction du moral et du social, qui tend à modérer les susceptibilités de l’homme de conscience et les prétentions tyranniques des politiciens, nous avertit aussi que de perpétuels conflits peuvent se produire entre ces deux éléments si différents de la vie humaine ; car ce que l’ordre social exige peut être en opposition avec ce qu’une conscience individuelle tient pour son devoir ou pour la condition de sa vie. Il y a donc place ici pour toute une casuistique dont M. Fonsegrive indique la matière et les règles : c’est peut-être là la partie la plus intéressante de son livre. Il lui paraît que ces conflits de la conscience et de la société peuvent se résoudre par cette remarque que, d’une certaine façon, le moral doit s’intégrer le social sans d’ailleurs prétendre le transformer. La vie sociale étant le moyen de ma réalisation personnelle, je dois vouloir la société avec les conditions qui la rendent possible, à savoir un certain conformisme, une certaine abdication de ma personnalité, le sacrifice de quelques-uns de mes intérêts, etc. Le tout est de ne pas sacrifier à ces conditions extérieures de notre développement moral les éléments supérieurs de notre être, et propter vitam… Mais il faut savoir beaucoup céder et, quand on s’est révolté, il est sage et moral d’accepter la réaction de la société et les sanctions qu’elle inflige. Il faut tour à tour, avec Socrate, savoir braver ses juges et, refusant de s’enfuir, boire tranquillement la ciguë.

Éloquent, animé d’un sentiment vif des choses morales, appuyé sur un sens très concret des difficultés de la vie pratique, très suggestif en tout ce qui touche aux problèmes casuistiques, ce livre, qui est bien d’un philosophe, mais qui ne semble pas avoir été écrit spécialement pour les philosophes, court le risque de les mécontenter par l’absence, dans l’énoncé et la détermination des principes, de cette précision technique qui peut seule permettre un jugement sûr et engendrer une véritable conviction.

Le Divin (expériences et hypothèses), études psychologiques, par Marcel Hébert, professeur à l’Université libre de Bruxelles. 1 vol. in-8o de 316 p., Paris, Alcan, 1907. — Une étude sur Ruysbroeck, une autre étude sur le mysticisme moral de Tolstoï, une autre encore sur l’attitude religieuse de Darwin — trois chapitres qui traitent des grands problèmes théologiques (personnalité divine, finalité et providence, grâce et liberté), des « vues générales » et de « conclusions sur le Divin » : tel est le contenu du livre de M. Hébert. Livre, on le voit, qui d’abord pourrait sembler assez disparate, si M. Hébert ne prenait soin de nous avertir de son dessein : en traitant des sujets si divers, il veut marquer qu’il est impossible de donner du « divin » une définition a priori. Il entend faire œuvre de psychologue, et l’office du psychologue, ce n’est pas de créer une religion nouvelle (on sait l’inanité des religions construites par les intellectuels), ce n’est même pas de prédire quelles seront exactement les formes religieuses de l’avenir ; c’est tout simplement d’observer, de classer et d’analyser les différents types donnés de religion et de voir si l’analyse ne révèle pas, sous ces différentes formes de la croyance au divin, un élément commun, essentiel, dont « l’existence expliquerait que le même nom « soit donné à des réalisations si diverses ».

Le livre de M. Herbert se divise donc en deux parties. Dans une première partie, de beaucoup la plus longue (pp. 9-219) et aussi la plus intéressante, M. Hébert donne sur « les formes multiples de la croyance au divin » les résultats d’une enquête très documentée. Dans la seconde partie (vues générales) il indique quelles sont les vues générales et les conclusions où aboutit cette enquête.

1° Il est commode de distinguer trois types d’esprit religieux comme on distingue trois types de pensée. Selon que chez lui c’est l’émotivité, ou l’intellectualité, ou la tendance à l’action qui prédomine, on dira que l’homme religieux est un émotif, un intellectuel ou un actif. À la classe des émotifs appartiennent les mystiques (Ruysbroeck). Ils font des « expériences » et des « hypothèses » sur le Divin. Ils expérimentent un certain état de plénitude spirituelle et d’exaltation morale qui les conduit à la joie et à la sainteté. Mais, pour expliquer leurs états, ils supposent la présence réelle de Dieu. Pure hypothèse. Car la clinique mentale nous apprend que les paralytiques généraux connaissent la joie mystique, et que certains hystériques ont, le délire du scrupule moral. — Les intellectuels (métaphysiciens, théologiens, saint Thomas d’Aquin