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opposés s’appellent nécessairement ; et, par suite, « ce sont les deux parties d’un tout ». Tel est, simplifié autant qu’on le peut, le ressort de la vraie dialectique. Et n’entendons point par là un conflit où il faut qu’un des termes supprime l’autre ; tout au contraire, c’est l’attraction irrésistible qui fait que les opposés veulent être pensés ensemble dans un système, qui fait que les notions se construisent et se composent de proche en proche et que le système s’enrichit de plus en plus, ressemble de plus en plus au fait même de la pensée pour soi, ou de la conscience. C’est ainsi. Si, partant de la relation abstraite, vous cherchez méthodiquement, pour chaque nouvelle notion, son opposée, et si vous la définissez d’après cela, il se trouve que cette notion est justement telle que nous voulions la penser ; et, bien plus, cette construction donne presque toujours une formule que la réflexion analytique pressentait et touchait en quelque sorte, sans pouvoir la saisir. Cette concordance entre la construction et le fait, qu’est-ce que c’est, si ce n’est pas une preuve ? Et l’auteur sait très bien dire en quel sens il prouve, en quel sens non ; ceux qui ont un peu lu Aristote reconnaîtront, dans ces pages, l’admirable style de la Physique où l’idée et la chose ne sont qu’un.

Dogme et critique, par Edouard Le Roy, 1 vol. des Études de philosophie et de critique religieuse, xviii-389 p. in-16. Paris, Bloud, 1907. — Au mois d’avril 1905 notre collaborateur Edouard Le Roy publiait dans la Quinzaine un article d’un intérêt singulier : il s’adressait aux théologiens, il leur confessait l’inquiétude éprouvée par un croyant, tout pénétré de la critique philosophique des modernes. Dans son essence le dogme est le véhicule de la foi : il émane de l’inspiration divine et il imprime une direction à la vie religieuse. Mais autour de ce germe surnaturel s’est produit un travail de cristallisation conceptuelle et de codification juridique. Il aboutit aux formules recueillies dans les Sommes du moyen âge. Or l’ébranlement de la philosophie aristotélicienne, non moins que le développement de la Réforme religieuse, ont conduit l’Eglise à essayer d’arrêter le mouvement en liant indissolublement la théologie systématique à la foi chrétienne, en consacrant par le Concile de Trente l’intellectualité de la scolastique ; on sait d’autre part avec quelle insistance le pape Léon XIII avait ordonné à l’enseignement orthodoxe de conjurer par une sorte d’amnistie le danger de la civilisation moderne que son prédécesseur avait condamnée trop directement et trop bruyamment : on devait faire comme si Descartes et Kant n’avaient jamais existé, on devait en revenir purement et simplement à l’ontologie de saint Thomas d’Aquin. Une pareille tactique pouvait réussir à l’intérieur des séminaires ; elle risquait de consommer la rupture entre la pensée contemporaine et l’Église catholique. Aussi M. Le Roy a-t-il poussé un cri d’alarme : « Les hommes d’aujourd’hui sont dans leur droit en ne consentant pas à s’en tenir au point de vue du xiiie siècle ». Il a demandé aux apologétistes de faire le départ entre ce qui marque la relation de Dieu à homme, l’efficacité d’une inspiration transcendante dans la vie intérieure et ce qui ne fait qu’exprimer les produits de la révélation dans les cadres des langages, leur adaptation aux préjugés du sens commun ou de la philosophie, bref de dissocier à l’intérieur de la religion la foi et la théologie, afin que la foi ne meure pas en même temps que la tyrannie, désormais déchue de la théologie scolastique.

Cet appel, si clair pour ceux qui avaient lu déjà ou entendu M. Le Roy, n’a pas été toujours compris de ceux précisément auxquels il s’adressait. On s’est fait un jeu, à la fois facile et cruel, de mettre en question l’orthodoxie de l’auteur, au nom de cette définition même de l’orthodoxie que M. Le Roy visait à rectifier. Ce sont ces méprises qui ont donné naissance au présent volume. M. Le Roy y a réuni à la suite de son article de la Quinzaine, les lettres qu’il a adressées au directeur de la Vérité française, ses réponses aux objections de l’abbé Wehrlé et de M. Portalié, aux attaques de Mgr Turinaz. M. Le Roy n’était plus tenu ici à l’attitude purement interrogative qu’il avait prise d’abord, et devait traiter le problème essentiel des rapports du dogme avec la nouvelle philosophie de l’action. La formule dogmatique a, en tant que formule, une portée simplement négative : elle interdit de se placer sur le terrain de l’immanence où rien n’arriverait qui ne fût strictement conforme aux exigences de la rationalité. Par là même elle a une fonction positive : laisser passer librement ce qui est au delà, la vérité religieuse que M. Le Roy définit avec un singulier bonheur d’expression lorsqu’il écrit : « La vérité religieuse est transhistorique ; elle suppose le passage d’une signification métaphysique et morale à travers l’histoire ». Puis M. Le Roy a donné de cette conception générale une application précise en particulier, par l’étude approfondie qu’il a conservée au dogme de la résurrection de