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Leçons de philosophie a quelque chose de plus personnel et présente par suite plus d’intérêt philosophique que la première. En matière de morale ou de métaphysique, il n’y a pas de science faite, mais seulement des problèmes dont on ne sait pas toujours bien comment ils doivent être posés, et des hypothèses plus ou moins hasardeuses entre lesquelles il faut choisir à ses risques et périls. C’est ici que le professeur doit naturellement laisser paraître le philosophe. Et c’est pourquoi aussi il est difficile de parler de leur œuvre commune comme d’un simple livre de classe et sans en apprécier ou en discuter le fond. Nous ne considérerons ici que la métaphysique, qui est la philosophie même.

La métaphysique de M. Malapert se maintient, avec la prudence qui est le caractère de tout son travail, dans la tradition classique. Ses études sur la nature, sur la vie ou sur l’âme, aboutissent au spiritualisme. Tout serait psychique. « C’est là le panpsychisme, dont on voit aisément les rapports avec le spiritualisme leibnizien, qui relie la nature et l’esprit, qui dans celle-là aperçoit déjà le germe de cette activité qui se déploie dans celui-ci sous des formes de plus en plus hautes, et considère l’univers tout entier comme aspirant sourdement à la pensée et s’y élevant peu à peu à travers une série de formes, par une succession d’efforts qui constituent la hiérarchie des êtres de la nature. »

C’est là une doctrine intéressante et défendable et qui a pour elle, outre ces arguments plausibles dont s’appuie M. Malapert, l’autorité d’assez grands philosophes. Cependant on n’a pas le sentiment qu’elle soit établie aussi solidement qu’elle devrait l’être. Toutes ces discussions sur la nature de la matière ou sur les explications possibles de la vie supposent l’existence d’objets ou d’êtres indépendants de l’intelligence qui les perçoit accidentellement et fragmentairement. Mais cette réalité métaphysique du monde, M. Malapert est-il bien sûr de l’avoir prouvée ? Opposant le réalisme à l’idéalisme, M. Malapert se contente de remarquer, comme une vérité évidente, que la réalité ne saurait se limiter à notre pensée individuelle. Et, en effet, tout le monde y consent. Mais cela ne prouve pas le réalisme, car il reste à savoir si ce qui nous dépasse ainsi et où nos pensées individuelles ont leur fondement, c’est un objet, un monde, ou si ce ne serait pas une pensée plus large, lien et principe des esprits qui n’en seraient que les phénomènes. Mais c’est de quoi M. Malapert ne dit rien.

Cette incertitude ou cette pétition de principe tient à un parti-pris plus grave. M. Malapert ne s’arrête pas aux doutes idéalistes parce qu’il ne prend pas assez au sérieux la critique de la connaissance dans ses résultats. Trait éminemment caractéristique : il rejette cette critique tout à la fin du cours et ne lui consacre que quelques pages. C’est une question qui manifestement lui paraît dénuée d’intérêt. La science, dit-il, précède toute réflexion sur la science ; et, tout de même, la métaphysique doit précéder toute réflexion sur sa propre valeur. Mais c’est confondre l’ordre historique et l’ordre logique des questions. Les systèmes ont précédé la critique ; nul n’en doute, mais il ne s’ensuit pas qu’il n’appartienne pas à la critique de déterminer quelles questions doivent être posées et d’éliminer les faux problèmes. En fait, M. Malapert n’a pu établir le caractère spirituel de la réalité d’apparence matérielle qu’en faisant la critique de la connaissance sensible ; et, s’il eût voulu, comme il le devait, établir que la réalité qui déborde la pensée individuelle est un système d’objets, il eût dû procéder à la critique de la connaissance intellectuelle, et notamment à la critique de l’idée d’être et des principes de causalité et de substance. N’est-pas la preuve que la critique domine toute construction métaphysique ?

Études d’histoire et de psychologie du Mysticisme, par Henri Delacroix. 1 vol. de xix-470 p., Paris, Alcan, 1908. — Nos lecteurs ont déjà pu goûter les prémices de cet important ouvrage dans la Revue de novembre dernier et dans le Bulletin de la Société de Philosophie de janvier 1906. La compétence de M. Delacroix en matière de mysticisme, sa parfaite maîtrise et son intelligence pénétrante du sujet sont si connues, que nous n’avons pas besoin de faire l’éloge de ses études, qui s’imposent également à l’attention du psychologue, du philosophe et du théologien, et qui ne tarderont pas à devenir elles-mêmes l’objet d’études spéciales. Nous devons nous borner ici à en donner une brève analyse qui en fasse pressentir l’intérêt.

L’ouvrage comprend deux parties principales. La première, qui est de beaucoup la plus développée, nous présente la description et l’analyse d’états mystiques individuels, avec les conditions et les conséquences historiques de leur apparition. La deuxième consiste en une interprétation générale, où la critique philosophique vient s’ajouter à l’observation. Il ne faut pas oublier de signaler un appendice solidement documenté sur les