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2o D’avoir, sans preuve, affirmé que cette modification de la technique est sociale – et que les génies sont inutiles.

M. Lalo. Le phénomène esthétique reste en dehors de ce que je me suis proposé d’étudier. — D’autre part, je repousse l’argument d’autorité, et malgré l’avis contraire de tous les esthéticiens, je persiste à croire que mon opinion peut avoir sa valeur.

M. Séailles. Il n’est pas question d’autorité, je vous objecte un fait reconnu par tous les esthéticiens. Le phénomène esthétique est caractérisé par l’intime pénétration de l’émotion et d’un langage sensible.

Passons à la deuxième partie de votre thèse.

La technique, selon vous, est une espèce d’idée qui se développe par thèse, antithèse et synthèse. Après les primitifs viennent les classiques, auxquels succèdent les décadents. C’est vague, général, si général que cette prétendue sociologie peut s’appliquer à tout et — chose grave ! — vous amène à des bizarreries comme celles-ci : Bach est un romantique, Beethoven un grand classique, Schumann un pseudo-classique.

M. Lalo. Les faits sont complexes, et je ne puis faire qu’une loi générale n’offre pas d’exceptions dans le détail.

M. Romain Rolland. Votre thèse provoque d’innombrables critiques. C’est un sujet si vaste ! — Je dois vous louer pourtant de la somme de travail qu’elle représente, et de l’érudition dont vous avez fait preuve, spécialement dans les trois premières parties.

J’en viens à la discussion.

Vous avez d’abord beaucoup trop négligé les influences sociales qui se sont exercées sur la technique.

M. Lalo. Il me semble que l’évolution de la musique a un caractère nettement spécifique.

M. R. Rolland. Que signifie votre loi des trois états ? Sont-ce des états séparés les uns des autres ? Assurément non. Alors, pourquoi prétendez-vous que les classiques ignorent leurs prédécesseurs ? Mozart n’a pas ignoré Hændel. Il a même, dans un âge déjà avancé, écrit en style d’Hændel.

Vous dites encore : On sent les classiques à l’époque. C’est faux. Beethoven n’a pas été considéré comme tel. — Plus loin : « Les gros classiques ne font pas de théâtre ». C’est énorme ! Que faites-vous des quatre opéras de Haydn — et même de ses oratorios, de ses symphonies écrites en style d’opéra-bouffe ? Beethoven n’a-t-il pas écrit « Fidelio » ? Et Mozart aurait-il, par hasard, fait du théâtre malgré lui ?

M. Lalo. Il y a là une question de mesure. Ce qu’ils ont produit en ce genre est peu considérable relativement à l’ensemble de leur œuvre.

M. R. Rolland. Et les pseudo-classiques ? Et Weber, que vous n’avez pas cité ?

Votre synthèse est quelque chose de très provisoire — elle est surtout un bel exemple de travail.

M. Laloy. Je m’associe aux hommages qui vous ont été rendus.

Mais, d’abord, je regrette que vous ayez fait appel à des sources de valeur très inégale. Reportez-vous à la page 159, note 2, à la page 247, notes 1 et 2, à la page 294, note 3 : vous m’éviterez de préciser et vous comprendrez ce que je veux dire. — Et pourquoi ne m’avez-vous pas donné de bibliographie ?

Votre première partie est fort intéressante, exacte, c’est un résumé fort commode des différentes théories de la musique. J’en admets les conclusions et vous signale simplement quelques petites erreurs de détail.

L’harmonie moderne sacrifie, dites-vous, les parties intermédiaires. Je n’en crois rien. Et, par exemple, admettez-vous que l’on puisse supprimer le ré # dans l’accord fa, ré #, sol #, (de la 4e mesure) du Prélude de Tristan et Isolde.

Vous dites encore : « Le violon est le roi des instruments ». C’est exact pour une certaine période de l’histoire de l’art musical, ce n’est plus exact pour l’époque moderne. Si le violon a occupé si longtemps la première place, c’est parce que cet instrument s’est perfectionné plus vite que les autres. Les instruments en bois et en cuivre ne jouent pas aujourd’hui, dans nos orchestres, un moindre rôle que lui.

Mais voici qui est plus grave. Il s’agit de votre seconde partie.

Ce que vous dites de la musique grecque est tout à fait contestable et plus contestable encore le caractère d’infériorité que vous attribuez à la musique de théâtre. Celle-ci serait, à la vraie musique, ce que le journalisme est à la littérature.

Enfin, je voudrais savoir ce que vous entendez par « décadence » : vos conclusions en effet sont des plus tristes, nous serions en pleine décadence.

M. Lalo. Je veux parler d’un certain désordre, de tendances divergentes.

M. Laloy. Ce sont précisément les conditions d’un renouvellement, c’est le renouvellement même qui commence peut-être.

En résumé, vous avez eu tort de vouloir appliquer votre loi des trois états à