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la fraude en matière de miracles, et le curieux y trouvera plus d’un renseignement intéressant. À vrai dire, on souhaiterait qu’une méthode plus sévère eût présidé à ces recherches. M. Saintyves ne distingue guère entre l’erreur, le mensonge, la supercherie : il met dans le même chapitre le cas où le miracle a été inventé par l’historien, et celui où il a été machiné et préparé d’avance par le sujet. Ce sont là pourtant choses différentes. M. Janet, dans la Préface, fait quelques réserves sur la conception trop simple que se fait l’auteur de la simulation : il est certain que la fraude de l’hystérique, par exemple, est, au point de vue psychologique, un phénomène qui n’a de commun avec le mensonge que l’apparence. D’une manière générale, on peut se demander s’il est d’une bonne méthode d’entreprendre une recherche du genre de celle-ci, uniquement à l’aide de la documentation historique, et sans avoir jamais soi-même interrogé ou examiné personnellement de sujets réels et vivants. Que penserait-on du géographe qui n’aurait jamais vu une montagne, ou du chimiste qui ne serait jamais entré dans un laboratoire ? Cette objection n’enlève d’ailleurs rien à la valeur du travail de M. Saintyves, à qui on ne peut demander autre chose que ce qu’il a voulu nous donner.

L’Orientation Religieuse de la France Actuelle, par Paul Sabatier, 1 vol. in-18 de 320 p., Paris, Armand Colin, 1911. — L’auteur définit lui-même sa tentative un effort pour « voir si on ne pourrait pas, en dehors de toute thèse métaphysique et dans un esprit d’observation scientifique, indépendante et désintéressée, ouvrir une sorte d’enquête sur le sentiment religieux, sa présence ou son absence, sa disparition ou sa résurrection, enfin sur le sens de son évolution actuelle » (p. 2). Cet effort n’a pas été infructueux. Le livre est intéressant, vivant, riche d’idées ; il y règne une sympathie intelligente pour toutes les formes sincères et loyales du sentiment religieux. Par contre il est assez mal composé, et les divers chapitres ne sont parfois rattachés entre eux que par un lien bien fragile, de sorte qu’il nous faut renoncer à en donner un résumé systématique. Les questions les plus diverses sont abordées, et il faut avouer que, dans son désir de ne laisser échapper aucun aspect, aucune transformation du sentiment religieux, M. Sabatier en vient quelquefois à le découvrir dans des manifestations où vraiment il faut beaucoup de bonne volonté pour l’apercevoir. « Y a-t-il rien de plus religieux que l’œuvre de Bœcklin ? » (p. 132). Certes, s’il existe au monde des tableaux irréligieux, ou areligieux, comme on voudrace sont assurément des œuvres telles que « lm Spiel der Wellen » ou le « Gefilde der Seligen ». D’autres assertions sont également contestables : dans une page — fort belle d’ailleurs – sur la solennité de Pâques, l’auteur estime que l’instinct populaire voit moins dans cette fête l’affirmation d’un miracle qu’une image du triomphe de la vérité sur les puissances de ce monde (p. 85-86). Nous croyons, au contraire, que pour le peuple croyant il s’agit avant tout, dans l’exemple cité, de la réanimation du cadavre du Christ ; l’instinct populaire tendra toujours à concevoir les dogmes de la façon la plus matérielle, la plus concrète, la plus anthropomorphique ; l’interprétation prêtée par M. Sabatier à la masse est une interprétation de philosophe.

Ces réserves faites, il convient de redire tout l’intérêt de l’ouvrage, et de signaler quelques-uns des passages les plus remarquables ; par exemple celui où l’auteur dégage la véritable signification de l’affaire Dreyfus, et montre qu’elle fut avant tout une crise religieuse (p. 31-32) ; plus loin, quelques pages singulièrement pénétrantes sur l’insuffisance du rôle joué en France par l’Église après la guerre de 1870-1871 (p. 47-52), etc.

Ueber Sinn und Wert des Phänomenalismus (Sitzungsberichte der Heidelberger Akademie der Wissenschaften, Phil.-hist. Klasse, 1912, n° 9). par W. Windelband, 1 broch. in-4 de 26 p., Heidelberg, Winter, 1912. — Ce discours contient d’intéressantes remarques sur le « phénoménalisme ». La philosophie contemporaine, se détournant des voies étroites du néokantisme, recommence à s’occuper des grands problèmes philosophiques ; elle ne se réduit plus à une théorie de la connaissance scientifique, à une méthodologie schématique ou à une histoire psychologique des représentations, dont la fin naturelle serait le « relativisme qui se nomme aujourd’hui pragmatisme » (p.5). La philosophie ne se résout pas en théorie de la connaissance, mais part de la théorie de la connaissance pour aboutir aux valeurs rationnelles universellement valables qui sont immanentes aux divers domaines explorés par les sciences, et qui les justifient. Il ne s’agit donc pas, exagérant l’étroitesse kantienne, de réduire la doctrine de la science au calcul infinitésimal (allusion à l’école de Marbourg), mais, suivant les traces de Hegel, de s’avancer librement dans le domaine de