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peut-être entièrement légendaire, est à peine historique, se perdent dans le mystère, mais l’évolution de la secte Taoïste, aux époques même les plus connues de l’histoire, est loin de nous apparaître clairement. Un essai, même rudimentaire, de bibliographie taoïste serait plus précieux que dix traductions nouvelles du Tao Te King. Nous ne contestons pas que celle de M. R. Wilhelm compte parmi les meilleures ; mais celles de Stanislas Julien, de Legge, de von Strauss, ont rendu relativement facile, non pas certes une compréhension des idées, mais une traduction convenable des mots, réserve faite de leur sens véritable. La transcription de Tao, « voie » par « Sinn », inspirée (Introduction, p. xv) d’un texte du « Faust », et celle de Te « vertu » par un terme plus vague, « Leben », constituent la singularité la plus frappante de cette nouvelle version.

Liä Dsi. Das wahre Buch vom quellenden Urgrund (Tschung Hu Dschen ying). Die Lehren der Philosophen Liä-yü-Kou und Yung Dschu, 1 vol. gr. in-8, de xxix-174 p., Iéna, Diederichs, 1911. — Ce volume sera l’un des plus utiles de la série, parce que Lie tse n’avait antérieurement fait l’objet que d’une traduction européenne (Faber, 1877), assez rare et nécessairement imparfaite. Son ouvrage passe pour avoir vu le jour en 398 avant J.-C. ; il joue historiquement le rôle d’intermédiaire entre les deux principales figures du Taoisme, Lao Tse et Chuang Tse. Il présente une doctrine cosmique de tendance panthéiste et évolutionniste, aussi bien qu’une théorie morale : c’est dire qu’il embrasse le champ entier de la philosophie. De plus, il nous fait connaitre les doctrines d’un des penseurs les plus originaux de la Chine, l’ « épicurien », le « pessimiste » Yang-chou. À ce double égard, le présent volume est le très bienvenu ; il constituera, avec le travail de M. Forke sur ces deux philosophes, un précieux document sur toute l’ancienne spéculation chinoise.

Dschuang Dsi. Das Wahre Buch vom Südlichen Blütenland (Nan Hua Dschen ying). 1 vol. gr. in-8 de xxiv-268 p., Iéna, Diederichs, 1912. — Déjà traduit par Giles (London, 1889) et Legge (Oxford, 1891), ce livre de Chuang Tse est, non le plus original, mais le plus brillant traité chinois de philosophie. Grâce à la souplesse élégante du style et à l’art de présenter les idées abstraites sous la parure de l’imagination et de l’ironie, le Nan Hua King a souvent mérité d’être comparé aux dialogues de Platon ; c’est un livre de poète autant que de philosophe. Il fourmille, en outre, de renseignements, par voie d’allusions plus ou moins explicites, sur cette époque héroïque de la pensée chinoise. Aussi le projet de traduire Chuang Tse est-il toujours aussi séduisant qu’épineux. M. R. Wilhelm y a réussi de très convenable façon, mais il n’a pas cru devoir donner une version entière de l’ouvrage ; beaucoup de chapitres sont écourtés ou résumés. Ce qu’il publie est mieux qu’un choix de textes empruntés à l’ouvrage, mais ce n’est pas véritablement une traduction intégrale : la valeur documentaire de cette publication s’en trouve restreinte. On peut aussi regretter que M. R. Wilhelm n’ait pas dit plus explicitement pourquoi il considère selon certains critiques chinois, comme apocryphes, les livres 28 à 31 (Introduction, p. xxiii). Aussi est-ce l’un des volumes où le caractère de vulgarisation est le plus prononcé. Par bonheur d’autres textes plus rares sont annoncés, que nous attendons avec confiance et impatience.

Heraklit und Parmenides, von H. Slonimsky, 1 vol. in-8 de 62 p., Giessen, A. Töpelmann, 1912. — Connaissant la méthode de MM. Cohen et Natorp, on peut prévoir à coup sûr les conclusions de tous les travaux historiques qui sortent de leur école. La brochure de M. Slonimsky ne fait pas exception, et l’inexpérience de l’auteur rend plus manifestes les défauts d’un procédé vraiment archaïque. Dans son préambule, M. Slonimsky a établi que seul le criticisme rend possible une histoire de la philosophie (p. 2), pour cette raison péremptoire que « la véritable subjectivité est la source unique de toute objectivité » (p. 6). D’où il suit qu’Héraclite, Parménide et même un peu Démocrite ont inventé par avance la déduction transcendentale. Mais l’œuvre d’Héraclite renferme une contradiction insoluble. Héraclite affirme le devenir absolu, il exclut toute détermination, rend impossible toute connaissance (p. 26), et il annonce ainsi Protagoras. Cependant le même Héraclite proclame en un triple sens l’existence de la loi, loi réalisée en chaque objet, loi immanente à l’entendement qui connaît, enfin, loi principe de tout ordre et de toute régularité cosmique (Il s’agit du Logos). Ces deux affirmations sont incompatibles et Héraclite n’a pas réussi à les concilier. Le premier, Parménide a tiré parti de l’idée du Logos. Et voici (selon M. Slonimsky) comme il raisonne. L’Être est un, et l’Être c’est le Cosmos (p. 34-35). Il n’y a donc rien en dehors de l’Être. Ce qu’Héraclite appelait le devenir est le non-être et ne peut