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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE




SUPPLÉMENT
Ce supplément ne doit pas être détaché pour la reliure.
(No DE MARS 1913)



LIVRES NOUVEAUX

Les formes élémentaires de la vie religieuse (le système totémique en Australie), par E. Durkheim, 1 vol. in-8, de 647 p., Paris. Alcan, 1912. — De cet ouvrage, très riche de faits et d’idées, il ne saurait être question de faire en quelques lignes un exposé complet ou une critique. Nous nous bornerons donc à en indiquer les traits principaux. Dans ses écrits antérieurs et dans ses leçons, M. E. Durkheim avait déjà fait connaître les idées fondamentales de sa théorie de la religion. Il les présente cette fois en un ensemble systématique, prenant pour base d’observation et de discussion le totémisme australien. Ces rites obscurs et déconcertants ne semblent avoir, au premier abord, que des relations lointaines avec la religion, telles que la tradition, l’histoire et l’ethnographie européennes nous en ont inculqué la notion. Même pour des savants modernes, versés dans la science des religions comparées, tels que Frazer, les pratiques totémiques ne paraissent pas impliquer les caractères constitutifs du phénomène religieux. M. Durkheim s’applique à dissiper cette apparence négative. Il montre que le totémisme est une religion, à vrai dire très élémentaire, la plus élémentaire de toutes celles que nous connaissons, mais qui renferme déjà tous les éléments essentiels et caractéristiques de la vie religieuse : distinction des choses en sacrées et en profanes, notions d’âme, d’esprit et de personnalité mythique, de divinité nationale et internationale, culte négatif, avec les pratiques ascétiques, rites d’oblation et de communion, rites imitatifs, rites commémoratifs, rites funéraires et rites d’expiation. Mais si le totémisme doit être ainsi considéré comme un prototype de toute religion, ne différant des autres religions, même des religions supérieures, que par défaut de développement de certaines des tendances qu’il contient en germe ; si ce sont seulement des inégalités d’évolution qui en masquent la parenté profonde avec des formes plus complexes et plus achevées, il faut renoncer aux théories explicatives dans lesquelles il n’a pas sa place marquée. Les conceptions de la religion élémentaire, telles que l’animisme et le naturisme, qui sont incapables de rendre compte des particularités du système totémique, sont donc inadéquates au problème ; elles n’ont point l’universalité nécessaire, parce qu’elles négligent les données originelles et constitutives du phénomène à expliquer. On sait que, d’après M. Durkheim, ce n’est pas l’idée de la divinité, mais l’idée du sacré, qui est dans la religion l’idée essentielle. Le sacré, représenté et senti collectivement telle est l’essence de la religion, que l’on peut, dès lors, définir : « un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent » (p. 65). On peut voir qu’une telle définition s’applique au totémisme. On peut aussi montrer qu’elle se concilie avec les conceptions animistes. L’âme n’est point une notion d’origine individuelle, comme on l’a cru : elle a sa source dans le fait social de la religion. Elle apparaît déjà dans le totémisme, et n’est autre que « le principe totémique incarné dans chaque individu » (p. 356). D’une manière générale, elle dérive de la notion du sacré ; elle est une application particulière des croyances relatives aux êtres sacrés. De la notion d’âme précèdent à leur tour les notions