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gieuses ne doit pas être cherchée dans les fins qu’elles poursuivent en apparence, mais dans leur action intime sur les âmes, dans les dispositions mentales qu’elles déterminent.

Aux heures d’exaltation, où la Société manifeste son pouvoir sur l’esprit des individus, elle subit elle-même une idéalisation spontanée. Le symbole totémique est le signe matériel d’une idée dont la portée dépasse l’état de choses actuel. Il va sans dire que l’homme n’a pas une notion précise de ce qui constitue le fondement réel du contraste entre le sacré et le profane, — de ce qui provoque, en dernière analyse, les émotions qui l’accablent. La cause efficiente de ces émotions, il croit la trouver en dehors de lui, — de même qu’il attribue à l’objet perçu les qualités de ses sensations.

Mais, déjà au stade tout à fait primitif, la religion et les nations religieuses ne se rapportent pas exclusivement à la vie humaine, elles ont aussi une portée cosmologique. La puissance laquelle l’homme s’abandonne dans son culte, et par laquelle il se sent inspiré et réconforté, cette puissance il la retrouve dans toute la nature. Inconsciemment il généralise l’opposition du sacré et du profane jusqu’à y comprendre tous les phénomènes qui tombent sous son regard. C’est une sorte de contagion qui se produit ici. Tout ce qui touche, d’une manière quelconque, au sacré ou au profane, devient par cela même, sacré ou profane. L’homme primitif ne connaît pas nos distinctions entre divers genres et-espèces d’objets. De même qu’il ne trouve pas qu’il y ait contradiction à identifier sa propre personnalité, et celle de son ancêtre, avec l’objet totémique, de même il range dans une seule et même classe tout ce qui l’affecte de la même manière. Cette « extrême contagiosité des forces religieuses » n’est pas due aux seules associations d’idées. L’idée du sacré est née de l’éveil dans l’âme du sentiment de dépendance et de réconfort, et plus ce sentiment est intense, plus grande est la force d’expansion avec laquelle il se manifestera devant tout ce qui entrera en rapport avec l’homme dans ses moments d’extase. Ceci nous explique là facilité avec laquelle l’homme primitif identifie les choses les plus hétérogènes, quelque contraires que soient les propriétés qu’elles offrent à la perception, et c’est encore ce qui fait d’une religion non seulement une manière de considérer la vie, mais encore une conception du monde, non seulement une psychologie mais une métaphysique.

Le besoin religieux est donc identique au besoin social de conser-