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fini de l’impression de votre mémoire[1] ? J’ai peur qu’on ne vous fasse horriblement languir.

« Adieu, mon cher Docteur, car vous l’êtes ou le devez être[2] ; croyez qu’il est impossible de vous être plus sérieusement attaché que je ne suis et comptez sur mes sentiments et sur mon amitié jusqu’à mon dernier jour. »

« votre Ed. Quinet.

« Comment va Michelet[3]. je lui écrirai bientôt. –

« mille amitiés à Marmier[4].

« s’il parait encore quelque fragment de journal pour ou contre moi, envoyez-le moi. »

La seconde lettre est datée du 5 mai 1837.

« mon cher ami, et mon cher philosophe, je vous remercie tendrement de votre bon souvenir. sachez bien que dans le désert où je suis[5], je pense à vous toutes les fois que je pense à l’avenir, ce qui m’arrive plusieurs fois par jour. à l’heure qu’il est, je fais un poëme[6] pour vous, car je mets là le peu que je sais, entrevois, ou devine dans les ténèbres de notre misérable vie. ah ! mon cher Aristote, que cela se réduit à peu de choses, pourtant je me donne le plaisir de créer un monde à ma façon et je vous jure, sans me flatter, qu’il vaut bien celui-ci. j’évoque l’avenir ; je bataille avec l’impossible, je me vante de posséder la liberté infinie, celle qui est irréalisable ; je foule avec ivresse la lâche fatalité[7], j’aspire au Deo ignoto[8] ; je fais la troisième partie

  1. Le mémoire sur la Métaphysique d’Aristote avait été couronné par l’Académie des Sciences Morales en 1835 ; il fut ensuite revu et transformé par l’auteur (v. J. Dopp, Félix Ravaisson, la Formation de sa Pensée d’après des documents inédits, Louvain, 1933, p. 69 sq., 155 sq.) ; un premier tome parut en 1837, un second volume en 1842.
  2. Ravaisson ne soutint ses thèses qu’en 1838.
  3. Ravaisson avait été pendant un certain temps le secrétaire de Michelet.
  4. Xavier Marmier, alors directeur de la Revue germanique.
  5. Cette lettre est également écrite de Heidelberg.
  6. Il s’agit de Prométhée, poème publié en 1838. (Œuvres, t. XII.)
  7. « Le dogme de la fatalité l’emporte, au moment où l’on écrit ces lignes ; qui le nie ?… Et pourtant… l’homme recouvrera sa conscience et son libre arbitre ; Prométhée enchaîné sera délivré c’est du moins là un des dogmes de la religion des poètes. » (Préface, p. 34.)
  8. « Si c’est être ami de Dieu de le chercher, de l’appeler, de le reconnaître sous chaque forme du monde visible et invisible, c’est-à-dire dans chaque moment de l’histoire, et dans chaque lieu de la nature, sans, toutefois, le confondre ni avec l’une ni avec l’autre de ces choses, alors celui qui écrit ces lignes est tout le contraire de l’impie. » (Ibid., p. 31.)