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divine du monde, le Kalam, la doctrine de ces anciens philosophes islamiques, faisait simplement et tranquillement confiance à des démonstrations d’une prétendue rigueur philosophique. Mais avec un instinct de grand penseur Maïmonide n’a pas tardé de comprendre que, dans le domaine du savoir comme dans celui de la stratégie, des victoires trop rapides tournent trop souvent aux pires désastres.

C’est pourquoi nous le voyons, par une analyse magistrale (très caractéristique de sa manière et qui garde aujourd’hui encore tout son charme), réduire toutes ces argumentations du Kalam en faveur de la Création à de purs sophismes. Sur le terrain rigoureux de la raison on ne peut démontrer ni l’éternité du monde ni sa création temporelle. Et ici aussi Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin ont suivi Maïmonide à un degré surprenant. Albert le Grand, lui aussi, tout comme Maïmonide, appelle les démonstrations du Kalam en faveur de la création temporelle du monde sophistique. Et, quand il les cite, c’est seulement sous la forme sous laquelle les exposait Maïmonide.

Et s’il est vrai, pourtant, que Maïmonide lui-même accepte sans réserve la création divine de tout ce qui existe, du moins sait-il fort bien – et il y insiste sans cesse – qu’il ne pourra jamais prouver cette doctrine philosophiquement ni la fonder sur un raisonnement vraiment démonstratif, mais qu’elle lui vient exclusivement de la Révélation religieuse. Et c’est pourquoi nous le voyons s’efforcer, par une analyse sublime, et très subtile, de la notion de temps, de venir à bout des difficultés qui contredisent cette doctrine révélée, et réfuter, par exemple, comme Platon, saint Augustin et Ghazâli avaient eu l’occasion de le faire avant lui, l’ « aporie » d’un temps qui serait antérieur à toute existence, en soutenant son tour que le temps ne commence qu’avec l’existence même du monde. Et il en profite pour indiquer en même temps avec une profondeur très nuancée qu’on ne peut sauver la doctrine de la liberté dans le monde qu’en acceptant la Création ainsi conçue.

Et, chemin faisant, on voit apparaître chez lui des considérations toujours plus subtiles sur la liaison interne entre le strict déterminisme universel et la contingence des relations naturelles individuelles et particulières, – recherches dont on pouvait dire justement qu’elles font pressentir parfois des motifs déjà kantiens