Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1911.djvu/68

Cette page n’a pas encore été corrigée

réduire toute chose à l'unité ne sera vraie qu'à la condition que l'être pensant qui s'efforce de justifier sa nature pensante, mais qui dans cet effort même s’oppose à cette loi qu'il veut justifier, fasse, pour ce qui le concerne, que la loi qu'il veut justifier soit vraie ; c'est-à-dire fasse qu'elle exprime véritablement son être à lui et cela il le fait par l'acte de liberté morale, parce qu'il anéantit sa propre individualité devant le tout auquel il se subordonne, faisant par là que la loi qu'il concevait tout à l'heure comme nécessaire mais non justifiée, se trouve justifiée. IL ne peut pas être vrai que l'universel est le fond de l'être avant que cela n'ait été fait. » « En d'autres termes, il est impossible à un homme de sortir du doute spéculatif et pratique, autrement qu'en faisant descendre par un acte de foi moral, la loi dans sa nature. » Mais cela suppose en outre une disposition favorable de la nature, sa conformité primitive à la loi, et comme une grâce déposée en elle. Si nous n'existions déjà par Dieu ou la Pensée absolue, si elle ne manifestait pas sa présence en nous par cette disposition intérieure dont nous avons le sentiment, nous ne pourrions la réaliser en nous, avoir la certitude de sa réalité, et par suite toute certitude s’évanouirait. [1]

Telle est l’interprétation que donne Lagneau de la preuve morale de l'existence de Dieu, interprétation singulièrement profonde et originale, qui n'est pas sans analogie, assurément, avec la preuve

  1. 1. « Nous ne savons, dit Lagneau, qu'il y a d'autres esprits que nous, c'est-à-dire que le monde a une réalité, c'est-à-dire que notre pensée a une valeur que parce que nous aimons que cela soit. La seule détermination suffisante à croire à la réalité de l'objet de notre pensée, c'est le mouvement absolu d'amour qui nous porte vers les êtres qui la constituent. Le monde extérieur n’a donc, dans un esprit, que la réalité que cet esprit lui confère par un don gracieux de sa nature. Pour qui ne se sent pas porté à reconnaître de la valeur aux êtres extérieurs à lui, pour qui il n'y a que son moi, le monde extérieur n'est qu'une apparence. A mesure au contraire que par des actes de volonté morale nous adhérons à la loi de l'être, c'est-à-dire, que nous reconnaissons que l'être réel est l'être universel, la croyance à l'objectivité du monde s’accroît parallèlement. De sorte que le scepticisme n’est au fond que l'égoïsme. Si la disposition à aimer, à s'attacher à l'être universel (indépendamment de notre sensibilité, de notre individualité) pouvait s'anéantir dans l'un de nous, la vie intellectuelle en lui s'éteindrait. Nous avons, en définitive, à chaque instant, la certitude que nous méritons. Le monde, dans sa réalité, est l'expression assez exacte de notre propre réalité. Pour celui à qui le monde apparaît n'ayant aucun sens, il n'a en effet aucun sens ; pour celui qui lui-même n'a aucune valeur, il n'a aucune valeur. Le sens du monde nous apparaît plus nettement à mesure que nous augmentons notre propre valeur. Ainsi cette action intérieure à la fois libre et raisonnable, provoquée jusqu'à un certain point et confirmée par la nature, par laquelle notre réalité comme êtres moraux est créée à chaque instant, cette action absolue de l'esprit en nous est, à chaque instant, pour nous, la créatrice de l'univers. »