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ment complet ; tout ce que peut faire l'être moral, c'est d'imposer momentanément silence à la nature, non la spiritualiser tout à fait. Ainsi nous pouvons vouloir le bien, sans avoir pour cela le sentiment que nous l'aimons de tout notre coeur, que nous sommes aussi bons que nous pourrions l'être. Le sentiment de notre imperfection est donc l'accompagnement nécessaire de la loi morale. » Bien plus, il est une condition de sa possibilité. " Si en effet l'acte de foi duquel dépend toute valeur de la pensée pouvait trouver sa confirmation absolue dans la nature, il en résulterait l'identité absolue du sujet individuel dans lequel la pensée se manifeste et de l'être universel auquel il se rattache. Tout devenant réel, l'unité absolue s'étant définitivement constituée, l'identité de l'idéal et du réel étant apparente, il n'y aurait plus rien ; ce triomphe de l'être serait en réalité le triomphe du néant, du moins pour l'être individuel. » « Dieu est précisément l'impossibilité que la pensée particulière, dans aucun de ses actes successifs, exprime complètement sa véritable réalité. » Telle est, envisagée dans ses moments successifs, la preuve nouvelle, qu'apporte Lagneau, de l'existence ou plutôt de la réalité de Dieu ; cette preuve est en même temps celle de la valeur absolue de la pensée et à ce titre on peut dire qu'elle est la conclusion de sa philosophie. Cette doctrine, qui est si profondément inspirée de la philosophie morale de Kant, est très différente de sa philosophie spéculative. Lagneau n'admet pas l'idée kantienne de l'opposition du savoir et de la foi. Pour Kant les apparences sont seules susceptibles de connaissance certaine et communicable à tous les esprits ; le fond des choses, non ; mais en revanche nous pouvons créer et développer en nous une conviction concernant ces choses ; pour cela, il faudra d'abord accepter la loi morale, et réfléchir ensuite sur les conditions qui rendent possible l'acceptation de la loi ; c'est par la foi, conçue comme un mode spécial de connaissance, de connaissance pratique, c'est-à-dire se rapportant à l'action considérée dans sa source, que nous pouvons atteindre l'absolu. Pour Lagneau, la connaissance du relatif ne possède la valeur absolue que Kant lui attribue que par l'affirmation implicite que nous y faisons naturellement d'une valeur absolue des formes de la pensée, ou d’une conformité absolue de ses formes avec son objet ; or une telle affirmation est un acte de liberté, identique à celui qui