Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1911.djvu/64

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notre intérêt personnel au devoir, réponde en nous un sentiment de joie qui atteste que notre volonté en agissant ainsi est bien dans le sens de notre vraie nature. La nature d'elle-même ne s'élèverait pas à ce sentiment ; elle tend à l'universel, par l'expansion la plus grande possible de son individualité. L'appétit tend à l'être par la réalisation des formes les plus complexes de l'individualité ; il tend à absorber tout ce qui lui est inférieur ; il est de nature conquérante. Il faut que l'appétit s'élève jusqu'à la réflexion pour se rendre compte de l'inanité de son effort, et de l'illusion qui l'engendre. Alors la pensée comprend qu'il n’y a de réalisation possible de l'être que par le sacrifice de l'individu, par l'abnégation. La vérité morale, le vrai bien ne réside pas dans le développement harmonieux de toutes les forces, de toutes les énergies de la nature, cela c'est l’idéal spontané mais aveugle des êtres ; elle est uniquement dans la vie raisonnable ; elle consiste à vivre en autrui et pour autrui, à réaliser par l'union des âmes l'unité de Dieu, d'où elles dérivent. Mais pour que cette fin puisse être atteinte, il faut, comme nous l'avons dit, que la nature collabore avec l'intelligence ; il faut que celle-ci libère l'étincelle divine qui lui a donné naissance et qui n'est qu'endormie en elle, non éteinte à jamais. Et c'est précisément ce que manifeste le sentiment de joie qui accompagne l'accomplissement du devoir. « Nous ne pouvons, dit Lagneau, savoir la réalité de Dieu, à un moment donné, qu'à condition de le vouloir, de contribuer à le poser ; mais Dieu ne peut pas résulter d'un acte par lequel, arbitrairement, nous l'aurions voulu ; cet acte suppose que notre nature le comporte ; la preuve de la légitimité de cet acte est donnée par le fait même que cet acte se réalise en nous. Cet acte, par lequel nous posons l'universel comme étant notre vraie réalité, ne serait pas possible sans, en nous, un mouvement de la nature, duquel il résulte. Nous prouvons Dieu, en le réalisant, non que nous le créions ; notre intelligence comprend que pour que, déjà, nous puissions vouloir Dieu, il faut qu'il soit notre fond. Cet acte, contraire à la nature, par lequel l’individu se nie lui-même, n'est possible que si la nature le comporte, c’est-à-dire qu'à la condition qu'il soit déjà vrai que la vraie réalité de l'être particulier est dans l'universel. Nous ne savons que Dieu est qu’en le réalisant, mais nous ne le réaliserions pas si nous ne concevions qu'il est, et non seulement qu'il est, mais qu'il est réalisé dans la nature. » La notion du devoir exprime donc aux yeux de Lagneau, comme