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identité est incompréhensible. L'acte le plus élevé de la pensée consiste donc en définitive à comprendre la nécessité de poser l'incompréhensible. « Incompréhensible que Dieu soit, incompréhensible qu'il ne soit pas », disait Pascal. Lagneau pense de même que la réalité de Dieu nous est incompréhensible, mais qu'il est incompréhensible, si toutefois l'on admet une vérité quelconque, que l'incompréhensible ne soit pas. Considérons un jugement de fait, comme « La neige est blanche ». Dire que cette proposition est vraie, c'est par cela même dire qu'elle est vraie pour tous les esprits, c'est-à-dire qu'elle exprime sous une forme particulière leur unité, unité de leur sensibilité, unité de leur entendement, accord de la sensibilité et de l'entendement, ce qui implique leur participation au même principe et l'identité profonde de la matière du jugement, donnée par la sensibilité, de la forme que lui impose l'entendement et de l’action qui applique la forme à la matière. Il en est de même des jugements de valeur, c'est-à-dire exprimant une vérité d’ordre idéal. L'homme qui affirme le devoir, affirme implicitement qu'en se déterminant par l'idée de la loi de la liberté, il se détermine conformément à la vérité absolue ; il affirme que cette loi vaut pour tous les esprits, ce qui suppose non seulement l'identité de tous les esprits, en tant qu'esprits, c'est-à-dire que raisonnables, mais des différents éléments de leur être. La loi de la liberté doit donc être aussi la loi de la nature, sans cela, elle ne serait pas vraie absolument. Le devoir implique bien une opposition entre la nature donnée et l'idéal, mais une opposition purement phénoménale. Si cette opposition se rapportait à l'être en soi, le devoir ne se comprendrait plus. Si l'idéal n'était pas la vérité même du réel, sa loi ne serait pas une loi absolue. Le postulat fondamental de toute loi, c'est qu'elle n'est qu'une partie de la loi universelle qui exprime toute vérité. Il n'y aurait pas de vérité de la nature, si elle ne se confondait avec celle de la liberté. Le devoir n'est pas notre vraie loi, s’il ne rétablit pas la vérité de notre nature, en s'élevant au-dessus d'elle. Il ne peut se réaliser que s'il y a dans notre nature une aptitude à le sentir et à le réaliser, un penchant pour la vie morale. Pour qu’un pareil penchant puisse s'éveiller en nous, il faut qu'en agissant sous l'idée de la loi de la liberté nous agissions selon notre vraie nature, en d'autres termes, que nature et liberté découlent de la même source. « Dire que quelque chose doit être, cela implique qu'il y a une vérité