Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1911.djvu/54

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actuellement, ce qui implique que le sujet et l'objet de mon jugement sont ce qu'ils doivent être et dérivent l'un et l'autre de la liberté. C'est donc à tort que Kant a admis une certitude expérimentale indépendante de toute affirmation morale : « Il n'y a pas en nous deux raisons. Il n'y a pas une façon de chercher ce que sont les choses et une façon de chercher ce que nous devons être. Chercher ce que les choses sont, c'est savoir si la nécessité dans laquelle on les résout est la vérité de ces choses, c'est-à-dire si la nécessité à laquelle cède la pensée vient d'elle, ou si elle résulte de ce qu'il y a en elle d'absolu, si elle découle de la liberté. » En présence d'un fait sensible, deux affirmations sont possibles, entre lesquelles il faut choisir : " Ou bien il n'y a rien ", car c'est en vain que je cherche la raison de ce fait dans un autre, et ainsi de suite ; elle me fuit à l'infini ; je puis en postuler la nécessité, non la découvrir ; et cette nécessité qui m'échappe en dehors de moi, je ne l'atteins pas davantage en moi, je puis toujours lui demander ses titres ; je puis donc conclure : tout est illusion et vanité, il n’y a rien. Si je conclus au contraire qu'il y a quelque chose, c'est que je veux qu’il y ait quelque chose. L'être ne peut jamais être saisi par le dehors, subi, soit par la voie du sens, soit par celle de l’intuition. Si quelque chose est, c'est que la pensée veut que cela soit. Mais pourquoi le veut-elle ? Il faut que la source de tout être soit dans cet acte par lequel la pensée établit qu'il doit y avoir quelque chose ; autrement dit, la source du jugement ne peut être dans l'entendement, forme de la nécessité, mais dans le pouvoir d'affirmer ce qui doit être. Tel est donc le premier résultat de l'analyse que Lagneau a entreprise, d'un fait quelconque de connaissance ; au fond de l'affirmation de l'existence, et de l'être est impliquée une affirmation de valeur ; et ce qui constitue la valeur, c'est la liberté. Mais arrivée à ce point, il semble que la réflexion se heurte à une difficulté invincible. Avant d'affirmer ce qui doit être, il faut bien que la liberté soit quelque chose, et ne sommes-nous pas dès lors conduits à affirmer une existence antérieure à cette réalité éminente qui constitue la valeur ?

V

Non ; ce que l'on affirme, c'est uniquement « qu'au moment même où la liberté pose ce qui doit être, elle se conçoit comme