Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1911.djvu/51

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être, c'est être entendu, saisi comme intelligible et en même temps supposé susceptible d'être perçu », car une vérité qui serait purement abstraite, c'est-à-dire sans rapport avec ce qui existe, ne mériterait pas ce nom ; on ne peut pas concevoir, par exemple, de vérité mathématique, en dehors de toute application au concret. Peut-on dire maintenant, et doit-on chercher à établir que Dieu existe en l'un de ces deux sens ? Non. Affirmer l'existence, c'est affirmer quelque chose qui n'est pas entièrement contenue dans son idée, et que nous saisissons, non parce que nous le comprenons, mais parce que nous en sommes affectés, parce que nous le sentons. Nous n'en possédons pas et n'en pourrions jamais trouver en remontant aux causes, qui en ont déterminé l'apparition, la raison suffisante. Si donc Dieu existait, à vrai dire il ne serait pas, puisqu'il ne pourrait être objet de pensée, l'objet de la pensée étant le nécessaire. Mais on ne peut pas dire non plus que Dieu est. La pensée ne peut pas plus se contenter de l'affirmation du nécessaire que de celle de l'existence. D'abord la vérité ne se suffit pas à elle-même, mais ne s'entend que relativement à l'existence sensible ; comme l'existence sensible n'est pas un objet suffisant de pensée, il s'ensuit que l'être n'en est pas un non plus. De plus la pensée ne peut pas s'élever jusqu’à l'absolument nécessaire. C'est là une expression contradictoire. De deux choses l'une, en effet  : ou bien la pensée n'existe plus en face de la nécessité absolue, mais dans ce cas, rien n'étant plus affirmé, rien n'est nécessaire ; ou bien, elle subsiste en face de ce qu'elle affirme nécessaire, mais alors il reste deux termes en présence et qui s'opposent dans une certaine mesure, et on ne peut plus parler de nécessité absolue. « Quelque nécessaire qu'apparaisse à la pensée une vérité, elle ne pourra jamais lui apparaître absolument nécessaire, car si elle pense, elle pourra toujours se demander pourquoi il faut que la nécessité en question soit reconnue par elle comme absolue, et par le fait qu'elle se demande cela cette nécessité cessera d’être absolue. » C’est par le même argument que Lagneau combat le déterminisme, et on trouve aussi un argument analogue chez Maine de Biran qui ne s’est pas borné, comme on le croit d'ordinaire, à poser la liberté du moi comme un fait, mais qui l'a considérée en même temps comme une vérité de réflexion. Pour Maine de Biran, rien n'existe que pour une pensée qui existe pour elle-même, et qui s'oppose par cela même à ce dont elle affirme l'existence, comme la liberté à la nécessité.