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L'existence du contentement moral prouve que la nature n'est pas étrangère à la moralité, qu'elle résulte comme la moralité même de l'action de l'absolu ; c'est-à-dire que Dieu n'est pas seulement l'absolu, supérieur à l'être même, et méritant d'être, mais qu'il a une réalité. Enfin, si la preuve kantienne n'est pas fondée sur la réflexion seule, s'il y entre des éléments étrangers à la réflexion, il semble d'autre part à Lagneau qu'elle n’est pas non plus inspirée de la véritable philosophie du christianisme ; en tout cas ce n'est pas de toutes les formes du christianisme. Il semble bien que les catholiques placent l'avenir ouvert aux âmes, non dans un progrès indéfini de la moralité, mais dans un état définitif auquel toutes les âmes sont appelées, et qui sera pour les unes un état éternellement heureux, pour les autres un état éternellement malheureux, et pour d'autres enfin, un état intermédiaire, le Purgatoire, qui est seul un lieu de passage. Et c’est plutôt, à ce qu'il semble, comme récompense ou punition que comme épreuve pour la moralité qu'est présentée l'autre vie, dans le dogme chrétien. Or Kant l'envisage au contraire sous les deux rapports, et l'on peut se demander si les deux choses que Kant associe s'accordent véritablement. «Si Kant, dit Lagneau, ne présente pas au terme de l'évolution de l'humanité, un état absolument définitif (le paradis de la religion), on ne voit pas comment il peut parler d'un accord parfait de la vertu et du bonheur, accord qui suivant lui serait le fondement de la croyance en l'existence de Dieu. Or, le bonheur, s'il pouvait être réalisé, anéantirait la moralité. Être parfaitement heureux, ce serait échapper à la nécessité de la lutte, mais là où il n’y a plus lutte, il n’y a plus moralité. Il semble donc bien qu'il faille choisir entre les deux choses que Kant a associées. » D'autre part, si cette évolution est indéfinie et que le bonheur s'ajoute à la moralité dans la proportion du mérite, il n'en résulte pas moins, nous semble-t-il, qu'à mesure que nous deviendrons plus heureux, nous deviendrons moins capables de désintéressement ; en recevant son prix du dehors la vertu ne se corrompt-elle pas par cela seul ? La conclusion positive que Lagneau tire de cette discussion de la preuve kantienne de l'existence de Dieu, c’est qu'il est possible de lui donner une portée plus directe, c'est qu’on peut atteindre Dieu directement, dans l'acte moral, sans passer par des intermédiaires, c'est-à-dire, non comme un principe extérieur ayant organisé la nature en vue de l'accord de la vertu et du bonheur, mais comme le principe immanent du bien que nous accomplissons dans l'acte