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notre nature spirituelle ; 2° la preuve dite du consentement universel. C'est un fait que tous les hommes souhaitent le bonheur. Le désir du bonheur est en quelque sorte inséparable de l’exercice naturel de notre activité. Mais si le bonheur se réduisait à un ensemble ou à une somme de plaisirs valant comme tels, et s'imposant à la pensée, au lieu de se conformer à ses lois, la volonté serait radicalement mauvaise, et en tant qu'elle est accompagnée d'intelligence, absurde. Le souhait du bonheur n'est, pour Lagneau, qu'une des formes du désir de la perfection, en tous les ordres ; c'est plus qu'un état, c’est un jugement. L'homme ne peut se trouver heureux sans juger qu'il a atteint la fin qu'il poursuit. Il peut y avoir, par suite, un bonheur vrai et un bonheur illusoire, selon qu'on se fait une idée vraie ou une idée fausse de cette fin. Le vrai bonheur est inséparable d'une certaine attitude de la pensée, l'attitude qui convient à sa nature, c'est-à-dire la tendance et l'effort vers la perfection. De même la science n'existerait pas si, dès le début de la recherche, le terme auquel elle tend, sa perfection, c'est-à-dire la vérité, n’était posé comme réel et susceptible par conséquent d'être atteint. Nous croyons aussi qu'il y a une perfection naturelle des choses conçues en tant qu'elles frappent nos sens et notre esprit, indépendante de l'usage qu'on en peut faire, et cette perfection physique est celle de la beauté. « Pour une chose, être belle, c'est avoir une perfection indépendante de son utilité et qui est saisissable immédiatement à notre nature sensible et intellectuelle. C'est manifester sous ses formes une réalité intérieure que nous jugeons être plus vraie que la vérité matérielle, celle qui consiste dans la totalité des explications que l'intelligence saisit de la chose. Entre une belle œuvre et une œuvre sans beauté, il n'y a pas de différence, quant à la vérité proprement dite : l’une et l’autre sont, ou du moins sont conçues comme également explicables. Mais, entre elles, il y a, à nos yeux, cette différence que quoique égales en vérité, il y en a une néanmoins qui possède une réalité que l'autre n’a pas, réalité qui n'est pas seulement une apparence, c'est-à-dire qui n'existe pas seulement pour notre manière de considérer les choses, mais qui existe en soi... ; toute affirmation de la beauté d'une chose implique l'affirmation de la valeur absolue de cette forme de pensée par laquelle nous affirmons les choses comme belles, nous affirmons un absolu de la beauté. »