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de caractéristique et de singulier. Nous ne saurions mieux comparer le sentiment que provoque la lecture de son cours de philosophie qu’à l'impression que l'on éprouve au bord de l'océan. Toutes ces vagues qui se pressent sur le rivage évoquent irrésistiblement à l'esprit la puissance et la fécondité de la source inépuisable qui les produit ; et cependant chacune a sa forme, sa coloration, son mouvement propre ; et c’est autant la curiosité, sans cesse renouvelée, de l'extrême variété des choses qui nous émeut, que le pressentiment de l'abîme infini où elles s'agitent. Si le point où aboutit la réflexion de l'esprit sur chacune de ses manifestations est toujours le même, le point de départ change sans cesse ; et si du reste on trouve Dieu au fond de toute analyse de la pensée, il n’en est pas moins nécessaire de l'étudier en lui-même, comme toutes les formes qui en dérivent. Tel est précisément l'objet de l'étude présente sur l’idée de Dieu dans la philosophie de Lagneau.

L'année même de sa mort il avait consacré, dans sa classe de philosophie du lycée Michelet, une série de leçons à ce problème qui surgissait à tout instant à l'horizon de sa pensée. Ces leçons étaient le résultat de plus de vingt années de méditations ; elles contenaient, selon ses propres paroles, son testament philosophique.[1] Nous avons eu la bonne fortune d’avoir entre les mains le cours rédigé par un de ses élèves. La rédaction n'est pas d'une correction parfaite ; nous y avons relevé des erreurs certaines, d'autres probables, mais dans le détail seulement ; l'ensemble est exact ; et c'est bien plus la profondeur et l'extrême concision de la pensée qui en rendent la lecture difficile que les imperfections du texte. Il faudrait, pour le bien comprendre, l'avoir entendu ; nous n'avons pas eu cet avantage[2] ; et si l’exposé qui suit reste obscur, il convient d'en accuser non le philosophe, mais l'interprète de sa pensée.

  1. 1. Ce mot nous a été rapporté par M. Léon Letellier, l’auteur de l’excellente Biographie publiée dans le bulletin de l’Union pour l’action morale. C’est lui qui nous a communiqué le Cours sur l’existence de Dieu.
  2. 2. Il est bien désirable que ceux de nos collègues qui ont été les élèves de Lagneau publient son cours, ou du moins les parties qui en étaient le plus achevées, ou même, à défaut de cette publication, peut-être impossible, on expose non seulement dans son esprit et dans sa méthode, mais dans ses résultats l'une des doctrines les plus pénétrantes et les plus solides qu'ait produites la philosophie française contemporaine.