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E. CHARTIER. — sur la mémoire.

guës dans la pensée, cela s’explique par la volonté de se représenter la réalité de l’une d’elles. À partir du moment où le fait est idée, rien de déraisonnable ne peut plus lui arriver : il n’y a pas d’autres liaisons entre les idées que celles qui résultent d’un jugement conforme aux lois générales de la pensée.

Cela est tout à fait évident pour les idées conçues comme nécessaires. Le nécessaire ne pouvant jamais être constaté comme un fait, mais supposant toujours une démonstration, il est facile de comprendre que la conception d’une chose comme nécessaire implique toujours la connaissance des raisons pour lesquelles elle est nécessaire. Par exemple si je conçois comme nécessaire que la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits, il est clair que cette conception suppose et par suite implique en elle non seulement la démonstration de cette propriété, mais encore la démonstration d’autres propriétés qui doivent être connues avant celles-là. C’est par la présence de toutes ces idées que celui qui comprend se distingue de celui qui ne comprend pas ; comprendre c’est, comme le mot lui-même l’indique, avoir beaucoup d’idées dans une seule.

On peut tirer de ce qui précède les trois lois suivantes : les images fictives s’évoquent suivant des rapports possibles de position ; les images réelles s’évoquent suivant leurs rapports fixes de position ; les idées nécessaires s’évoquent suivant leur ordre de dépendance rationnelle.

On voit que toute suite d’idées en apparence fortuite est explicable par les lois de la pensée réfléchie, sans qu’il soit besoin d’inventer quelque loi spéciale de la pensée instinctive comme la célèbre loi d’Association par contiguïté dans l’espace et dans le temps. Cela ne veut point dire que tout soit explicable dans le cours des idées, mais seulement que les lois formelles du cours des idées sont les lois mêmes de la pensée réfléchie. Que la pourpre des Césars me fasse penser au soleil couchant, et non à une fleur rouge, cela peut passer pour impossible à expliquer : c’est un fait ; mais que les images évoquent des images qui leur ressemblent, cela est nécessaire, et une image ne pourrait être pensée sans cela. Il est assurément utile de voir que tout est en un sens divers et inexplicable ; mais il faut aussi comprendre comment une forme nécessaire pénètre et dirige tout.

L’erreur des sensualistes est de séparer les idées, ce qui détruit toute distinction entre les idées et les choses ; car si les idées sont