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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

vient, car le biologiste lui répondra que ce mort n’était pas mort, sans quoi il ne serait pas revenu à la vie.

Mais indépendamment de ces raisons encore superficielles et indirectes, qu’il importe pourtant de s’assimiler, l’analyse même d’un fait montre bien qu’aucune vérité ne saurait être obtenue par constatation. Si l’on retire d’un fait quelconque tout ce qui est action, hypothèse, construction, il reste le simple fait de sentir, la simple modification, c’est-à-dire la pure sensation, la constatation de cette sensation ne différant point de son existence. Or quel accord entre les esprits pourrait résulter des modifications internes de chacun d’eux ? À vrai dire ce que l’on appelle communément un fait c’est déjà en prétention une vérité, c’est-à-dire un effort pour construire l’hypothèse la plus simple et qui explique le mieux les sensations, et c’est pourquoi il peut y avoir des perceptions fausses. Il importe donc de n’être point dupe de l’illusion commune, et de ne pas prendre pour un corps étranger ce qui est en réalité notre œuvre, à savoir l’accord, si imparfait qu’il soit, entre plusieurs esprits au sujet d’un fait. La vérité nous apparaît donc comme constituée entièrement par l’action de la Pensée conformément à sa Nature. La vérité n’est point au dehors de nous, elle est en nous, et chacune de nos pensées la suppose tout entière à chaque instant.

Nous sommes conduits par cette voie à notre seconde idée directrice, l’idée d’une nature pensante, absolue, universelle et nécessaire. L’analyse de notre connaissance nous amène à y distinguer la matière et la forme, le donné et le jugement. Or la matière de notre connaissance c’est cette multiplicité changeante et insaisissable si éloquemment décrite par le vieil Héraclite rien n’est, tout devient. Et voilà les faits ou plutôt le fait même de la Nature donnée ; et non seulement on ne voit pas quelle vérité pourrait jamais sortir de cette variété changeante où rien ne se recommence et où rien ne subsiste, mais encore on voit très bien qu’aucune vérité ne saurait sortir de la Nature ainsi conçue comme un fait, et Platon l’a bien montré dans le Théétète lorsqu’il condamne le disciple d’Héraclite à n’affirmer rien d’une manière quelconque. Or, puisqu’il y a toujours quelque chose de vrai, puisque, malgré la nature donnée, malgré le désordre, la variété, le changement, l’être l’identique et l’ordre sont constamment cherchés, affirmés et maintenus, il reste que la vérité consiste dans la forme même de la connaissance, forme éternelle et nécessaire que nous, appliquons aux choses malgré