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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

perceptions, c’est-à-dire impliquent tout un monde d’idées et déjà toutes les idées. Le commencement de la connaissance, comme le commencement de n’importe quoi, ne peut être qu’une idée et jamais un fait, puisque le commencement est toujours passé au moment où l’on y réfléchit ; la sensation, résultat en nous de l’action de l’objet, ne peut être qu’en nous, et, en la connaissant, nous ne connaîtrons jamais que nous-même, modifié de telle ou telle façon. Aucune notion d’objet extérieur ne saurait donc être contenue dans la sensation par suite la position, la forme, la grandeur de l’objet ne sauraient être données immédiatement : il nous faut les deviner d’après la façon dont l’objet nous modifie ; une interprétation vérifiée par des expériences ultérieures recevra le nom d’objet réel ; l’objet n’est ainsi qu’une hypothèse qui nous explique d’une manière satisfaisante nos propres sensations. Il résulte de là que le premier moment de cette recherche, la pure sensation, ne peut être séparé et isolé que par l’analyse théorique et verbale ; en fait il est impossible que ce premier moment soit connu, puisque justement il exclut toute connaissance ; par suite il est pour nous comme s’il n’était pas ; il est enseveli au plus profond de la Nature : il est l’inconscient absolu.

Voici à peu près en quels termes Lagneau expliquait à ses élèves la nature de la sensation.

NATURE DE LA SENSATION

La sensation ne saurait, à proprement parler, être saisie en elle-même. L’acte de la représentation peut être ramené à trois fonctions : sensation, intuition, perception. Mais l’intuition n’existe jamais sans la perception, qui est l’acte véritable de se représenter ; de même la sensation n’existe jamais sans l’intuition. Toutes les fois que nous croyons simplement sentir, en réalité nous rattachons ce que nous sentons à quelque, chose d’étendu. Savoir qu’on sent, c’est chercher à déterminer, à circonscrire la sensation, ce qui ne peut être fait que par un mouvement de l’esprit par lequel se trouve déterminée immédiatement l’intuition. Ce n’est donc point la sensation qui se révèle d’elle-même à l’esprit. C’est par autre chose que la sensation que nous connaissons la sensation, car elle ne saurait réfléchir sur elle-même (Bossuet). Pour saisir la sensation, il faut que nous la cherchions dans ce à quoi elle s’est d’abord associée, c’est-à-dire dans la représentation dont elle a été l’occasion. Nous n’avons qu’un