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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

c’est cette connaissance universelle et implicite, condition et règle de tout acte de connaître, qui est exprimée dans le corps, résumé d’une vie indéfinie à la fois dans le temps et dans l’espace. Le corps est dans la pensée comme le résumé des conditions permanentes de toute pensée, et comme l’expression de ce qu’il y a d’éternel dans notre pensée momentanée et périssable : le corps, disait Lagneau, c’est la nature de la Pensée. Lagneau disait aussi : « L’organe corporel n’est pas autre chose qu’une représentation que la pensée se donne à elle-même pour expliquer son automatisme ».

Le lecteur se rendra compte que cette vue générale s’appuyait sur une analyse concrète et vigoureuse s’il veut bien suivre dans ses détails la déduction suivante, reconstituée d’après les souvenirs des élèves de Lagneau.

LE CORPS HUMAIN

Supposons le monde comme existant en dehors de nous dans l’étendue, et demandons-nous à quelles conditions nous pourrions nous le représenter ainsi. Nous ne le pourrions qu’à la condition de nous en représenter les différentes parties, de nous mouvoir par conséquent. L’étendue ne peut être aperçue en intuition que sous la condition d’un mouvement exécuté par le sujet. Quand nous saurons à quelles conditions peut être acquise la notion du mouvement, nous n’aurons pas encore expliqué l’intuition de l’étendue ; car le mouvement décompose l’étendue, la dissout : il est nécessaire qu’ensuite elle soit reconstituée.

Que suppose donc le sentiment du mouvement actif ? Le cas le plus simple serait celui où le sentiment du mouvement se produit sans qu’il y ait de changement. Mais ce cas ne saurait s’expliquer sans l’autre, sans le cas où le sentiment du mouvement est accompagné de changement. Supposons un mouvement par lequel on ne déterminé aucun changement dans les sensations. Dans ce cas on n’aurait que le sentiment du mouvement voulu : les anesthésiés ne savent pas s’ils ont exécuté le mouvement qu’ils ont voulu. Mais ce sentiment du mouvement voulu aurait-il existé si l’on n’avait pas vu déjà l’effet de mouvements réels, c’est-à-dire un changement ? Le sentiment même du mouvement ne peut pas exister sans le sentiment de ce qui distingue l’un de l’autre deux points de l’étendue. Deux points distincts de l’étendue ne peuvent donc se présenter à nous que par une diversité de sensations.