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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

la mémoire, la science, sont possibles ; et dût-on arriver à cette conclusion que cette question ne comporte pas de réponse satisfaisante, il faudrait encore le montrer, et il y aurait toujours une étude possible ; non pas des objets divers auxquels l’esprit s’applique, mais de la connaissance même de ces objets, une étude de l’application de l’esprit à ces objets.

À ceux qui prétendraient qu’une telle définition ne présente aucun avantage, il serait facile de répondre qu’elle permettrait de préciser le sens des expressions usitées comme Philosophie de l’histoire, Philosophie des sciences, Philosophie de l’art, etc., ce que l’on ne fait généralement pas. Par exemple, il ne viendra à l’esprit de personne de désigner par Philosophie de la physique la recherche des causes et des lois ; mais on aura déjà quelque tendance à appeler Philosophie de la médecine la recherche des lois générales de la vie ; et enfin, sans souci du sens déterminé des termes et de la précision du langage, on appellera Philosophie de l’histoire la recherche des causes et des lois des phénomènes historiques. Il est pourtant clair que si les recherches du mathématicien sur les lois de l’espace et du mouvement ne sont pas de la Philosophie, la recherche des lois historiques ne sera pas non plus de la Philosophie. La définition qui est commentée ici fournit un moyen de déterminer avec précision ce que c’est que la Philosophie d’une science et en général ce que c’est que la Philosophie de n’importe quoi. La philosophie étudie la connaissance même et d’une manière plus générale le rapport de l’esprit avec tous ses objets ; il y a donc une philosophie de tout ; la philosophie, c’est la science qui répond, au sujet d’une application quelconque de l’esprit à un objet quelconque, à la question suivante comment cette application de l’esprit à tels et tels objets est-elle possible ? Par exemple la Philosophie de l’histoire répond exactement et uniquement à cette question comment la science dite histoire est-elle possible ? Il apparaît clairement alors que, par exemple, la question de la valeur du témoignage en général, et la classification systématique de, tous les documents possibles est une question philosophique ; tandis que la question de savoir dans quel sens s’est faite l’évolution des sociétés humaines, et si elles vont de telle forme à telle autre ou réciproquement, est une question purement historique, puisque l’esprit même de l’historien n’y est pas pris comme objet.

(À suivre.)
E. Chartier.