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port, parce quelles sont attachées aux mêmes points de l’étendue. Un point de l’étendue doit avoir le pouvoir de produire en nous des sensations de nos différents sens. Entre toutes les qualités il doit exister un ordre fixe et déterminable par lequel nous pouvons nous représenter exactement les modifications, qui surviennent dans ces qualités, comme liées entre elles non seulement dans chaque qualité, mais d’une qualité à l’autre.

À vrai dire c’est seulement lorsque nous nous représentons cet ordre comme ayant son fondement en dehors de nous que nous atteignons vraiment les qualités des choses. Tant que nous nous bornons à sentir sans nous représenter un ordre fixe de ce que nous sentons, nous ne saisissons ni objets ni qualités ; nous sommes simplement passifs et enfermés en nous-mêmes. La perception n’a lieu qu’au moment ou nous ne croyons plus sentir, mais saisir les qualités d’un objet extérieur à nous. Mais qu’est-ce que cela, sinon percevoir que toutes les qualités saisies en cet objet sont liées entre elles, sont liées à cet objet ? Et comment percevoir cela sans se représenter que ces qualités différentes se rapportent toutes à la même étendue, si bien que ce qui se modifie dans l’une d’elles doit retentir dans les autres ? C’est la même chose de saisir une qualité et de la saisir comme extérieure, et en même temps comme étant en liaison déterminée avec d’autres, c’est-à-dire de l’apercevoir dans un corps étendu. Cette unité qu’Aristote croyait que nous saisissons par la κοινὴ αῖσθησις, nous devons nous la représenter en nous représentant l’étendue. C’est dans l’acte de nous représenter l’étendue que consiste l’acte de saisir des qualités. Avant cet acte, nous ne faisons que sentir.

Ainsi une qualité suppose un objet, c’est-à-dire d’autres qualités par lesquelles l’objet en question puisse affecter nos autres sens. Avant que nous nous représentions l’objet, il n’y a en nous que des sensations. Pour que nous saisissions une qualité comme la couleur il faut que nous voyions en elle quelque chose qui, subsistant indépendamment de nous, détermine en nous la sensation de couleur. Mais si ce principe extérieur existe dans l’objet, il est clair que cet objet devra pouvoir se manifester aussi à nos autres sens. Nous devrons pouvoir éprouver d’autres sensations qui, elles aussi, nous conduiront à la supposition d’une cause extérieure qui les produise. Entre cette cause et celle de la première sensation, il devra exister un rapport. Si l’une se modifie, les autres aussi devront se modifier ;