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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

de la perception musicale il y a une mesure du temps ou plutôt plusieurs mesures du temps qui doivent se rapporter à une seule. La perception musicale a donc pour effet de nous rendre conscients de l’écoulement régulier du temps, et de la possibilité de soumettre notre vie intérieure à une règle fixe.

Dans la pensée il y a lieu de considérer deux termes, la nature, avec son mouvement indéfini qui échappe à toute détermination ; au-dessus de cette nature, et comme en constituant la vérité, il y a la détermination des pensées. La pensée pense toute, chose comme mesurée : la pensée est la mesureuse. L’audition de la musique nous donne conscience de ce pouvoir fondamental de la pensée ; la musique c’est de la pensée abstraite qui se réalise. Le plaisir de l’audition musicale consiste en ce que nous faisons tenir dans des formes déterminées ce qui échappe à toute détermination. L’harmonie représente la nature, la vie. Le rapport des notes éveille en nous des tendances, des besoins. Perpétuellement se trouvent dans la musique deux éléments l’un abstrait, qui est la mesure, l’autre concret, qui est la mélodie ; la mélodie doit se plier à l’autorité de la mesure ; c’est cette lutte qui fait naître en nous l’émotion musicale.

Dans tous les arts se rencontre, cette opposition d’une forme mathématique et d’une matière sensible. Mais dans ; la musique la forme a besoin d’être créée par l’esprit ; car la forme musicale se rapporte au temps, non à l’espace ; ce qui dans l’âme n’est que tendance, pur sentiment, ce qui n’a pas d’existence formelle, est du domaine du son.

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Si le lecteur veut bien examiner le tableau à double entrée qui est résumé ici, et qui est exposé dans le fr. 35 il aura sous les yeux et il pourra embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble de la Vie Pensante et, comme disait Kant pour le tableau des catégories, il ne pourra manquer d’être conduit à toutes sortes de belles remarques. La correspondance entre les degrés dans chaque division nous permet de concevoir une vie imparfaite, et néanmoins complète à son degré ; la vie animale : sensation, émotion, impulsion ; la vie intelligente : entendement, sentiment intellectuel, volonté ; la vie rationnelle : raison, sentiment moral, liberté. Nous voyons aisément que le degré inférieur est bien désigné aussi par les mots : Nature, ou Mécanisme, ou Instinct. Des degrés intermédiaires peuvent être découverts ; par exemple, dans, la région de l’entendement, on passe