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COMMENTAIRE
AUX
FRAGMENTS DE JULES LAGNEAU

L’enseignement de Jules Lagneau a eu de son vivant une telle réputation, et ceux qui ont pu s’en faire une idée d’après les notes ou les souvenirs de ses élèves en ont tiré un si grand profit, qu’il nous a paru que c’était rendre service à la Philosophie que mettre sous les yeux du public tout ce que les manuscrits de notre maître, éclaircis par nos notes et nos souvenirs, permettraient de reconstituer avec exactitude. Un exposé systématique de la doctrine de Jules Lagneau était évidemment, sous ce rapport, préférable à toute autre publication. Mais ce travail, depuis déjà longtemps assez avancé, nous est apparu comme tout à fait au-dessus de nos forces parce qu’il fallait, pour le mener à bien, à la fois une rare puissance de construction et une extrême défiance vis-à-vis de soi-même, qualités déjà difficiles à acquérir chacune à part, mais impossibles, ose-t-on dire, à concilier.

L’auteur de la présente publication croit avoir évité ce double inconvénient en publiant, sous le nom de Jules Lagneau, ce qu’il a pu trouver dans les manuscrits, et en faisant suivre ces fragments d’un commentaire dont il prend la responsabilité sans pour cela le revendiquer comme sien. Ce commentaire est destiné uniquement, dans sa pensée, aux esprits jeunes et inexpérimentés, qui voudraient chercher dans la philosophie de Jules Lagneau la direction que d’autres y ont trouvée, et l’impulsion énergique que d’autres en ont reçue.

Si obscurs et si incomplets que soient les fragments, si imparfait que soit le commentaire, le commentateur croit fermement qu’un esprit judicieux, et surtout énergique, peut, par la lecture attentive des uns et de l’autre, être détourné d’une métaphysique présomptueuse comme aussi d’un empirisme à la fois trop timide et trop envahissant. Quand ils devraient ne tirer de cette lecture que la ferme conviction que la présence ou l’absence d’un fait n’a jamais rien prouvé, et ne peut, par nature, prouver rien (sans quoi un délire prolongé et collectif serait la plus forte des preuves), ils seraient déjà par là même philosophes, puisqu’ils seraient affranchis des événements qui passent dans la durée, et dont la connaissance est par nature toujours et nécessairement inadéquate.

Le lecteur ne doit pas chercher dans ce commentaire une réponse à toutes les questions que la lecture des fragments lui aura suggérées. Un grand nombre de fragments, et non des moins importants, n’ont pas été commentés, soit parce qu’il a paru impossible d’en déterminer exactement le sens, soit parce qu’ils se suffisent à eux-mêmes, soit parce qu’ils se trouvaient déjà suffisamment expliqués par le commentaire d’un fragment antérieur. C’est ainsi que les fragments 80 et 81 se trouvent expliqués par le commentaire du fragment 25. Les fragments compris entre les nos 55 et 65, où se trouve exposée la théorie du jugement, suffisent amplement par eux-mêmes à appeler l’attention des jeunes philosophes sur cette question fondamentale.