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pris naissance. Si important que soit le phénomène d’agrandissement des marchés, prélude habituel de la fédération des peuples, ce n’est pas celui dont il s’agit ici. À vrai dire, il est bien rare que, sans nul progrès intrinsèque de l’industrie, ce progrès extrinsèque puisse s’accomplir.

C’est de ce progrès intrinsèque que nous voulons parler, c’est-à-dire de la tendance d’une invention, d’une adaptation sociale donnée, à se compliquer et se grossir en s’adaptant à une autre invention, à une autre adaptation, et engendrant de la sorte une adaptation nouvelle qui, par d’autres rencontres et d’autres alliances logiques du même genre, conduira à une synthèse plus haute: et ainsi de suite. Ces deux progrès, le progrès d’une invention en extension par sa propagation imitative, et son progrès en compréhension en quelque sorte par une série d’hymens logiques, sont certainement très distincts, mais, loin d’être inverses (et malgré l’opposition habituelle à d’autres égards entre l’extension et la compréhension des idées), ils marchent de front et sont inséparables. À chaque alliance cérébrale de deux inventions en une troisième, quand, par exemple, l’idée de la roue et l’idée de la domestication du cheval, après s’être propagées indépendamment l’une de l’autre (pendant des siècles peut-être) se sont fusionnées et harmonisées dans l’idée du char, il a fallu nécessairement, pour les faire se rapprocher dans un même cerveau, le fonctionnement de l’imitation, comme il avait déjà fallu, pour l’apparition de chacune d’elles, que leurs éléments fussent apportés dans l’esprit de leurs auteurs par divers rayonnements d’exemples. Bien mieux, à chaque synthèse nouvelle d’inventions, il faut en général un rayonnement imitatif plus vaste que les précédents. Il y a un entrelacement continuel de ces deux progressions, la progression imitative, uniformisante, et la progression inventive, systématisante. Elles sont liées l’une à l’autre par un lien qui n’a rien de rigoureux sans doute, — car, par exemple, une série assez longue de théorèmes ardus a pu se dérouler dans le cerveau d’un Archimède et d’un Newton sans nul apport d’éléments fournis par des savants étrangers dans l’intervalle de chacune de ces découvertes, — mais ce lien est assez habituel pour que nous nous attendions toujours a voir l’étendue du champ social et l’intensité des communications sociales, l’ampleur et la profondeur des nationalités sinon des États, grandir en même temps que la richesse des langues, la beauté architecturale des théologies, la cohésion des sciences, la