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H. POINCARÉ.LA MESURE DU TEMPS.

fallu pour le moins deux cents ans, avant que la lumière partie de cette étoile eût atteint notre terre. Cette conflagration était donc antérieure à la découverte de l’Amérique.

Eh bien, quand je dis cela, quand je considère ce phénomène gigantesque qui n’a peut-être eu aucun témoin, puisque les satellites de cette étoile n’ont peut-être pas d’habitants, quand je dis que ce phénomène est antérieur à la formation de l’image visuelle de l’île d’Española dans la conscience de Christophe Colomb, qu’est-ce que je veux dire ?

Il suffit d’un peu de réflexion pour comprendre que toutes ces affirmations n’ont par elles-mêmes aucun sens.

Elles ne peuvent en avoir un que par suite d’une convention.

VII. — Nous devons d’abord nous demander comment on a pu avoir l’idée de faire rentrer dans un même cadre tant de mondes impénétrables les uns aux autres.

Nous voudrions nous représenter l’univers extérieur, et ce n’est qu’à ce prix que nous croirions le connaître.

Cette représentation, nous ne l’aurons jamais, nous le savons : notre infirmité est trop grande.

Nous voulons au moins que l’on puisse concevoir une intelligence infinie pour laquelle cette représentation serait possible, une sorte de grande conscience qui verrait tout, et qui classerait tout dans son temps, comme nous classons, dans notre temps, le peu que nous voyons.

Cette hypothèse est bien grossière et incomplète ; car cette intelligence suprême ne serait qu’un demi-dieu ; infinie en un sens, elle serait limitée en un autre, puisqu’elle n’aurait du passé qu’un souvenir imparfait ; et elle n’en pourrait avoir d’autre, puisque sans cela tous les souvenirs lui seraient également présents et qu’il n’y aurait pas de temps pour elle.

Et cependant quand nous parlons du temps, pour tout ce qui se passe en dehors de nous, n’adoptons-nous pas inconsciemment cette hypothèse ; ne nous mettons-nous pas à la place de ce dieu imparfait et les athées eux-mêmes ne se mettent-ils pas à la place où serait Dieu, s’il existait ?

Ce que je viens de dire nous montre peut-être pourquoi nous avons cherché à faire rentrer tous les phénomènes physiques dans un même cadre. Mais cela ne peut passer pour une définition de la