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P. LAPIE. MORALE DÉDOCTÏVE. S67

Toutes ces propositions sont contradictoires aussi le désir me vient-il de rétablir les rapports normaux en rendant bien pour bien et mal pour mal. Si l’homme est disposé à rendre douleur pour douleur plutôt que plaisir pour plaisir, c’est qu’il ne s’avoue pas volontiers à lui-même qu’il est l’égal de ses égaux et l’inférieur de ses supérieurs il se croit plus volontiers le supérieur de ses égaux, l’égal ou le supérieur de ses supérieurs. Aussi quand il reçoit un bienfait s’imagine-t-il facilement que ce bienfait lui était dû et qu’il n’a pas à le rendre. Au contraire subit-il une injure ? il a plus vivement conscience du trouble qu’elle apporte à ses relations sociales aussi désire-t-il plus vivement restaurer les rapports naturels. Plus l’absurdité est consciente, plus le désir est intense. C’est donc bien la vue de cette absurdité qui est la cause de ce désir. On attribue souvent au désir de justice sociale une autre origine on le fait dériver de l’instinct c’est pour se défendre, dit-on, que l’homme rend coup pour coup le talion, forme inférieure de la justice, est un réflexe utile à la conservation de la vie. Mais cette théorie n’explique "pas tous les caractères du talion lorsqu’il se défend, l’homme n’attend pas l’attaque, il la prévient ce n’est pas lorsqu’on est tué par un meurtrier qu’on est dans le cas de légitime défense, c’est quand on est menacé par lui ; au contraire, l’homme qui applique la loi du talion attend, pour agir, que l’acte d’autrui soit accompli. En outre, l’homme qui se défend ne .calcule pas exactement les coups qu’il va donner il se borne à mettre son’adversaire hors de combat ; il ne se préoccupe pas de savoir s’il lui inflige une souffrance égale ou inégalé à celle qu’il a lui-même subie ou pu subir. Au contraire, dans le talion comme dans toute justice, on proportionne aussi exactement que possible la punition au crime. Enfin, comment expliquer par l’instinct de défense les pratiques qui exigent que le criminel soit puni par où il a péché ? elles supposent encore un calcul que ne fait pas l’homme qui se défend. Non seulement l’instinct de défense n’explique pas le désir de justice, mais c’est au contraire le désir de justice qui vient parfois régler l’instinct de défense. Dès lors, quelle serait son origine sinon une origine rationnelle ? Sans doute il ne se déduit pas immédiatement, comme le disait Littré’, du principe A = A. Mais il apparaît quand nous croyons que ce principe est violé. Suis-je frappé ?je me sens diminué, . La science au point de vue philosophique, p. 339.