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L. BRUNSCHVICG. – SPIRITUALISME ET SENS COMMCN." 341 1

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certains penseurs ont été amenés à rattacher au cœur ou àla volonté les vérités qu’ils apercevaient au delà. Mais ces vérités, ne fût-ce que pour être conçues, ont nécessairement été justiciables de cette puissance de détermination qui constitue notre intelligence ; les raisons du i cœur sont encore-dès raisons ; les principes de la volonté sont encore des lois ; et comment oser dire, si du moins on prétend donner un sens.à ce que l’on dit, que ces raisons et ces lois soient exclusives de toute idée, que la faculté de comprendre soit exilée de la véritable vie spirituelle ? De même, il ne suit nullement de là que le sentiment et la volonté se confondent avec l’intelligence. Une idée nouvelle qui s’introduit dans l’esprit modifie toutes les idées qui s’y trouvent, elle en augmente la portée ou elle en contrarie l’effet, et, sous l’influence de cette modification, l’ensemble du système s’ébranle et se meut. Entre la puissance de former des idées qui s’appelle intelligence et la puissance d’être affecté par elles qui s’appelle sentiment ou la puissance d’être ébranlé par elles qui s’appelle volonté, il n’y a pas nécessairement proportion. Chez certains individus il y a contraste entre la qualité de l’intelligence et la force du sentiment ou de la volonté. Mais ce qui est vrai, c’est qu’il n’y a pas trois facultés indépendantes les unes des autres, émanant par je ne sais quel lien mystérieux d’un arrière-fond immobile et inerte. Dans chacun des systèmes de pensée dont l’ensemble constitue un esprit, se retrouvent également, comme trois moments inséparables, intelligence, sentiment et volonté. Si ces systèmes peuvent entrer en conflit au sein d’un même esprit, du moins n’y a-t-il pas trois mondes, étrangers les uns aux autres, entre lesquels nous serions continuellement et définitivement divisés et déchirés. Nous sommes, non pas absolument uns, mais capables de nous unifier, à mesure que, des idées plus profondes étant plus nettement conçues, nous devenons plus capables de nous y attacher par le sentiment, de les réaliser par ` l’action, en un mot d’identifier plus complètement notre vie à ces idées et de devenir ce qu’elles sont.

Ainsi l’effort que nous proposons au sens commun ne consiste pas dans la substitution d’une doctrine spéculative à une autre ; il a pour objet de faire tomber la barrière de préjugés qui ’dérobait l’esprit à lui-même, de le faire revenir à soi. En même temps il doit avoir pour conséquence de ramener à leurs véritables termes les problèmes qui intéressent la vie de l’esprit, et de les rendre susceptibles de solutions simples et positives.