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484 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

hommes, qu’ils se sentent, en conséquence, unis par une ressemblance essentielle. Et c’est ce qui explique que le progrès de l’assimilation ait pu, en effet, favoriser le progrès de l’esprit démocratique. Mais est-ce à dire que l’idée de cette similitude soit le tout de l’idée d’égalité, et que celle-ci ne saurait aucunement s’accommoder de l’idée de la diversité des hommes ? Ne serait-il pas possible de montrer que l’esprit qui déclare les hommes égaux peut fort bien avoir une conscience nette de leurs différences individuelles en même temps que de leur ressemblance générale, et, qu’en ce sens, l’idée de l’égalité apparaît comme une sorte de synthèse de l’idée de la ressemblance avec celle de la différence ?

L’analyse des facteurs sociologiques de l’idée d’égalité, parmi lesquels nous rencontrions la différenciation à côté de l’assimilation, nous préparait déjà à admettre, comme un élément intégrant de cette même idée, le sentiment de la diversité des individus. La définition de l’esprit commun aux différentes réclamations égalitaires nous prouvera qu’il n’est forcément exclu par aucune d’elles.

Il se manifeste le plus clairement, d’abord, dans l’exigence de l’égalité juridique. Demander que tous les citoyens soient égaux devant la loi, en quel sens pourrait-on dire que c’est nier leurs différences individuelles ? C’est affirmer au contraire qu’on doit tenir compte et ne tenir compte que de l’action propre de leur individualité. Qu’ils soient riches ou pauvres, roturiers ou nobles, si deux hommes ont commis dans les mêmes intentions les mêmes actions, ils doivent accepter les mêmes sanctions. Il faut, pour les juger, oublier la catégorie à laquelle ils appartiennent. C’est ce qu’on exprime en disant qu’il n’y a plus de lois particulières, c’est-à-dire différant suivant les différentes classes de la société, mais que la loi est la même pour tous. Et la preuve que cette uniformité n’implique en aucune façon la négation des diversités individuelles, c’est que les « interprètes » de la loi, les « représentants » de la justice ont précisément pour fonction d’adapter, à l’individualité des cas, l’universalité des règles.

L’exigence de l’égalité civile révèle le même souci de l’individualité. Lorsqu’on demande que tous les citoyens soient également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, on ne nie pas la distinction de leurs capacités ; on demande au contraire qu’on tienne compte et qu’on ne tienne compte que de celles-la. En