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G. MILHAUD.une condition du progrès scientifique.

nombreuses aussi seront les chances que quelqu’une remplisse les conditions de positivité nécessairement requises pour une application féconde. Mais n’est-ce pas faire une trop grande part au hasard ? N’est-ce pas laisser subsister comme un mystère, qui seul expliquerait pourquoi, si fréquemment, les rencontres heureuses avec les conditions du monde réel sont réservées aux conceptions nées de la spéculation théorique ?

Peut-être aussi finirons-nous — pour expliquer le lien qui rattache la pensée pure au réel par ne plus nous croire nécessairement condamnés à l’une ou à l’autre de ces deux solutions :

Ou bien revêtir la pensée d’un caractère tel que, par essence, consciemment ou non, elle ne puisse se dégager des conditions d’objectivité des phénomènes ;

Ou bien accepter que seule puisse être efficace et scientifique une idée qui, par ses conditions particulières objectives ou subjectives, se trouve être véritablement une vue sur le réel.

Ces deux solutions n’ont-elles pas le tort de supposer un lien trop directement nécessaire entre les créations de la pensée et le réel ?

D’une part pouvons-nous contester la multiplicité des voies par lesquelles l’intelligence atteint tel ou tel groupe de faits ? Et ce ne sont pas seulement les sciences physiques qui nous fournissent de nombreux exemples d’explications diverses pour une même catégorie de phénomènes les mathématiques, elles aussi, dans leurs ramifications multiples, nous donnent fréquemment cette surprise d’aboutir à quelque point fondamental par des chemins infiniment variés.

D’autre part, comment nier que la science tire le plus grand profit de notions fictives, invérifiables, échappant, par leur nature, aux conditions de détermination ordinaire des choses, dépourvues, semble-t-il, le plus qu’il est possible, de tout caractère de positivité, — comme, par exemple, l’éther et les atomes, en physique comme, en mathématiques, chaque symbole nouveau introduit par généralisation précisément dans le cas où, en vertu des conditions premières, il cessait de rien représenter. Et ce ne sont pas seulement les notions fictives qui peuvent réussir ; ce sont parfois des vues manifestement absurdes essayez, par exemple, de supposer les longueurs composées d’un nombre fini de points, les surfaces d’un nombre déterminé de lignes, vous n’aurez pas de peine à démontrer certains théorèmes connus, et dont l’intérêt heureusement ne dépend pas de cette conception