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G. MILHAUD.une condition du progrès scientifique

ment à justifier une série de relations quantitatives fondamentales exposées au second livre, et ainsi de suite. L’œuvre entière converge merveilleusement vers le problème capital qui en est comme le couronnement, à savoir la construction des cinq polyèdres réguliers. S’il est donc permis de parler en certain sens de l’utilité de tel ou tel détail, c’est de la même façon qu’à propos d’une œuvre d’art, pour exprimer le merveilleux enchaînement de toutes les parties. Le terme suprême où aboutit l’auteur des « Éléments », la construction des polyèdres réguliers, est en lui-même le plus opposé qu’il est possible à toute considération pratique.

Cette Géométrie, dont Euclide nous donne déjà un modèle aussi parfait, n’a pas été confectionnée par lui brusquement. Nous savons qu’elle est l’œuvre des siècles qui l’ont précédé. Avec quelle étonnante rapidité les progrès s’étaient réalisés, avec quelle ardeur les Grecs avaient cultivé cette géométrie, comme ils avaient su non seulement en reculer très loin les bornes, mais aussi la douer d’une force d’expansion et d’une fécondité telle que les travaux d’Archimède et d’Apollonius vont en être comme la suite naturelle et que les savants vont bientôt trouver en elle un instrument merveilleusement adapté aux applications astronomiques,… j’y ai trop souvent insisté pour y revenir. Ce qui me frappe maintenant, et sur quoi je voudrais attirer l’attention, c’est le rapprochement de ces deux faits d’une part le développement colossal qu’a reçu la mathématique pendant un temps relativement court, la force d’expansion indéfinie dont elle paraît douée, sa fécondité, même au point de vue des applications, et, d’autre part, le caractère de science désintéressée et purement spéculative qu’elle a manifesté. Il est impossible, aussitôt que la pensée fait ce rapprochement, de ne pas songer qu’il y a là plus qu’une coïncidence curieuse, et que le désintéressement, l’éloignement de toute préoccupation pratique, chez le géomètre grec, a pu être une des causes profondes des progrès de sa science, et, du même coup, de sa fécondité future à l’égard des applications elles-mêmes. Du moins si cette vue semble tout d’abord audacieuse, nous pouvons la soumettre à une épreuve, intéressante. Les progrès, qui semblaient devoir être à jamais continus, se sont ralentis, puis même complètement arrêtés. Une longue éclipse a suivi. Passons