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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

lonius, dit Marie dans son Histoire des Mathématiques, eût certainement regardé comme fou l’homme qui serait venu lui proposer d’introduire la longueur du pied d’Agamemnon, par exemple, dans la démonstration de ses théorèmes sur les Coniques. » Certes, cela est très vrai, mais un géomètre d’aujourd’hui ne penserait pas autrement à cet égard qu’Apollonius. Ne cherche-t-il pas comme lui des relations géométriques nécessairement indépendantes du choix de toute unité ? Si Euclide ou Apollonius s’abstiennent plus rigoureusement que nous de toutes considérations de mesure numérique, c’est bien en partie parce qu’ils sentent l’inutilité de ces considérations pour la science pure, en partie parce que les mesures numériques ne pourraient être ordinairement qu’approchées et suffisantes tout au plus pour quelque usage pratique. Mais alors au fond, il faut bien voir où est la distinction essentielle aux yeux des Grecs, entre ce que contiennent leurs livres de Géométrie et ces sortes de formules qu’ils en ont systématiquement écartées. Elle rentre dans la distinction plus profonde qui fait mettre d’un côté ce qui est la science pure, la science générale, indépendante de toute condition particulière, et en même temps exacte, parfaite, ne maniant que des éléments rigoureusement déterminés, bref ce qui est la science proprement, dite, spéculative et désintéressée, — et d’autre part ce qui ne vise que l’application. Les idées des Grecs sur l’incommensurabilité mettaient en évidence un élément d’imperfection, d’inexactitude, dans toute opération de mesure, mais c’était loin d’être le seul. Auraient-ils pu parler de figures absolument exactes, de cercles parfaits, de carrés rigoureux, et même de droites véritablement droites, à propos des choses matérielles au milieu desquelles nous vivons et qui tombent sous les sens ? De là cette séparation si nettement tranchée entre tout ce qui répond de près ou de loin aux préoccupations pratiques et ce qui s’élève au-dessus d’elles et ne concerne que la science purement désintéressée.

Ce n’est pas que chacune des vérités successives énoncées par Euclide ait en elle-même son intérêt tout entier. Il y a dans l’œuvre un enchaînement qui permet d’attribuer à tel théorème ou à telle série de propositions, ce rôle utilitaire en un sens qui consiste à préparer telle démonstration capitale. Ainsi le premier livre tout entier marche manifestement vers la démonstration de la grande propriété caractéristique du triangle rectangle, qui clôt ce premier livre. Ce théorème lui-même na pas été démontré en vain, il servira notam-