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G. MILHAUD.une condition du progrès scientifique

gramme de même base et de même hauteur, — sans en venir à l’évaluation numérique de l’aire du triangle ou du parallélogramme. On peut démontrer les théorèmes essentiels relatifs à la pyramide, sans se croire oblige de donner la règle d’évaluation numérique du volume de ce solide et ainsi de suite.

Au fond, la formule qui manque chez Euclide est une conséquence presque évidente des considérations théoriques qui, elles, sont complètes ; et il ne saurait entrer dans la pensée de personne que le géomètre ne sût pas l’en déduire. À coup sûr, mis en présence d’un champ triangulaire à mesurer, ou d’un récipient prismatique à jauger, il eût procédé comme nous. Mais c’est une marque absolument significative de sa conception de la Géométrie théorique que de ne pas vouloir dans un même livre énoncer les formules utilisables et les propositions de la science purement spéculative. Les unes et les autres ne lui semblaient pas relever du même ordre d’idées ; et, de fait, pour les Grecs, la Géométrie et la Géodésie s’opposaient dans leur objet, comme la Logistique, science des calculs pratiques, et l’Arithmétique ou science des Nombres, proprement dite.

C’est peut-être, va-t-on dire, aller chercher bien loin une explication d’un fait très simple. Les formules d’évaluation numérique pour les surfaces et les volumes exigent l’emploi courant de la notion de mesure ; or les Grecs connaissaient fort bien le cas de l’incommensurabilité de deux grandeurs : ils n’ont pas songé à introduire dans un énoncé quelconque la valeur numérique d’un rapport qui a bien des chances de ne pas exister. — Nous ne pensons pas qu’à cet égard les Grecs fussent aussi loin de nous qu’on pourrait croire. D’une part, si nous consentons plus volontiers à parler de nombre incommensurable, de mesure d’une quantité incommensurable, c’est avec le sentiment bien net que, dès la moindre application, ce nombre figurerait en réalité par une valeur approchée. Et, d’autre part à rester en dehors du toute évaluation effective, — les Grecs ne répugnaient nullement à l’idée d’un rapport incommensurable. Leur façon de définir la raison de deux quantités homogènes d’une manière générale, abstraction faite de la question de savoir si les quantités sont ou non commensurables[1], leur faconde citer ensuite les égalités de raisons, ou proportions, montrent qu’ils n’étaient pas plus effrayés que nous par la notion du rapport de grandeurs incommensurables. — « Apol-

  1. « Λόγος ἐστὶ δύο μεγεθῶν ὁμογενῶν ἡ κατὰ πηλικότητα πρὸς ἄλληλα ποιὰ σχέσις » (L. V.)