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238 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

la Réalité des choses en soi qui dérive de la réalité de la sensation. On ne peut donc évidemment justifier celle-ci en disant, par exemple, que • :< rien n’est en nous si voisin des choses (p. 263) », c’est-à-dire en invoquant l’existence préalablement admise des choses en soi. Il faut se placer d’abord au point de vue idéaliste, et s’enfermer dans i ,1a conscience pour y trouver, s’il y a lieu, des motifs d’en sortir et d’en conclure une réalité transcendante : et pour pouvoir attribuer à la sensation une réalité quelconque, fût-elle représentative et symbolique (objective, comme disait Descartes), il faut découvrir dans la sensation elle-même des raisons d’y reconnaître « l’influence nécessaire de ce facteur obscur qui est la chose en soi (p. 378) ». Nous ne pouvons considérer comme une preuve décisive cette remarque empruntëe à Kant f, qu’il ne saurait y avoir des apparences que s’il existe des choses qui puissent apparaître (p. 263) car un tel argument a tout juste à nos yeux la valeur d’un jeu de mots. Ce n’est pas une raison parce que le mot phénomène (Erscheinung ) signifie étymologiquement apparence (ou apparition), pour qu’un phénomène soit nécessairement la représentation de quelque chose, encore moins de la réalité. Du reste, cet argument philologique se retournerait aisément contre la thèse qu’il est destiné à prouver en effet, tous ces noms imposés à la sensation, loin de lui attribuer une valeur objective, n’ont d’autre but que de lui dénier toute existence absolue si on l’appelle apparence, c’est pour l’opposer à la réalité, et non pour en faire une image de la réalité. Un argument plus sérieux, et sur lequel M. Hannequin insiste particulièrement, est le suivant La confusion de la sensation prouve qu’elle n’est pas l’œuvre de l’esprit, mais des choses en effet, « tout ce qui vient de la pensée est clair pour la pensée (p. 258) » ; donc la confusion et l’obscurité ’du phénomène, irréductible à nos concepts, indiquent qu’il ne vient pas de nous, mais du dehors, et par conséquent des choses. Mais, de ce que la sensation n’est pas l’œuvre de l’esprit, s’ensuit-il qu’elle soit l’œuvre des choses ? Nullement, s’il est vrai que nous ne sommes pas « pur esprit », et que nous possédons non Seulement un entendement, mais une sensibilité. De ce que la sensation est étrangère et réfractaire à l’entendement, on ne peut conclure qu’une chose, l’hétérogénéité de l’entendement et de la sensibilité ; et par le fait même que notre auteur’adopte cette thèse,. i. Critique de la liaison pure, Préface de la 2e éd., p. xxvii.