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̃J2£ REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

même toute espèce de solidarité sociale, a-t-elle quoi que ce soit de moral ? Ne s’accorde-t-elle pas le plus simplement du monde avec la concurrence la plus ardente, avec l’individualisme égoïste le plus effréné ? Oui, sans doute, les ouvriers sont solidaires des patrons, et c’est pour cela qu’ils les haïssent. Ils cesseraient à la fois et d’être solidaires de leur patron et de le haïr, le jour où celui-ci serait exproprié. Qu’est-ce donc autre chose, cette solidarité naturelle, que la dépendance réciproque des membres d’une même société. Et si, pour la société, il importe que cette dépendance demeure entière, est-ce aussi bien l’intérêt de chaque individu ? Tel ne peut-il pas se flatter d’échapper aux conséquences fâcheuses de son acte intéressé, précisément lorsqu’il tient compte des réactions d’autrui, déterminées parla solidarité, et qu’il sait les prévoir ? L’ambitieux •égoïste ne fait-il pas entrer dans ses calculs cette solidarité nécessaire des hommes, des citoyens, bien mieux que le philanthrope le plus charitable ? Oui, la solidarité serait un bien moral, si elle avait son plein effet dans une société fraternelle, dont tous les membres seraient déjà unis de cœur et de foi. Pour le moment elle est le véhicule de l’égoïsme autant que de la bienveillance. Elle détermine le milieu de nos actions ; elle n’est pas une règle de l’intention. C’est un fait quasi-physique comme la pesanteur. Ce n’est pas une idée morale.

D’une manière plus générale, la morale est une création du cœur humain. On ne voit pas ce qu’elle pourrait avoir de scientifique. On ne réussira pas à faire sortir la conscience de la nature, parce que la conscience est la protestation de l’homme contre la nature. La nature est immorale ou plutôt elle est étrangère à la morale ; c’est la conscience seule qui donne un sens de bien ou de mal aux actions fatales de la vie» Il est donc bien difficile de concevoir qu’une loi de la nature devienne une règle de notre volonté. Ou plutôt il y a là une sorte de contradiction. Il est contradictoire que j’agisse avec la science totale dés choses, parce que chacune de mes actions change cet état de choses, et que si j’en avais une connaissance parfaite, je les changerais radicalement, et comme d’un seul coup. La contradiction n’est-elle pas la même à supposer que la connaissance du milieu au sein duquel je dois agir (supposé connu même à l’état dynamique) puisse déterminer mon action ? Elle peut contribuer au choix des moyens par lesquels j’en assure le succès, elle ne peut rien pour me la faire vouloir elle-même. Et ici, en parti-