Page:Revue de métaphysique et de morale, 1896.djvu/629

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
627
CRITON.dialogue philosophique entre eudoxe et ariste

ARISTE. — Je suis curieux, Eudoxe, de savoir comment vous pourriez montrer cela.

EUDOXE. — Ne vous ai-je pas déjà montré que la constance de la forme du corps est nécessaire ? Je pourrais faire voir de la même manière que, le mouvement étant une condition nécessaire de la perception, comme nous l’avons dit antérieurement, il faut nécessairement que le corps soit mobile ; qu’il faut bien par suite qu’il ait des parties molles, pour assurer sa mobilité, et aussi des parties dures, pour assurer la constance de sa forme ; que, comme le corps est l’apparence de la pensée, qui est une, il faut bien aussi que le corps soit un, c’est-à-dire que tous les mouvements du corps soient liés les uns aux autres, de façon qu’un mouvement dans une partie provoque des mouvements de toutes les autres parties, et que c’est en cela que consiste véritablement l’association ; et aussi que, ces mouvements dépendant nécessairement de la forme de la partie qui se meut, chaque organe réagit suivant sa structure, de façon que les organes des sens, qui sont les parties extérieures, sont ébranlés par l’association comme ils le seraient par l’action d’une cause extérieure ; qu’ainsi l’imagination est nécessairement accompagnée de mouvements dans les organes des sens, en sorte que, quand même on ne pourrait jamais constater ces mouvements, on doit néanmoins affirmer qu’ils existent ; et encore, en vertu de cette loi de la pensée qu’il n’y a point de passion sans quelque action, que les nerfs moteurs ne sont pas moins nécessaires à la sensibilité que les nerfs sensitifs, et qu’ainsi les expériences qui veulent prouver le contraire ont certainement été mal faites ; en un mot que celui qui connaît la nature nécessaire de la pensée est en mesure de connaître, autant qu’il le veut, la nature et les lois du corps, sans avoir recours à l’observation que pour traduire en langage physiologique ses raisonnements métaphysiques.

ARISTE. — Que ne m’expliquez-vous en détail toutes ces belles découvertes ?

EUDOXE. — C’est que j’estime que si vous ne les faites vous-mêmes, vous devez les ignorer.

ARISTE. — Ne vaut-il pas mieux savoir qu’ignorer ?

EUDOXE. — N’avez-vous jamais pensé, Ariste, qu’il était fâcheux que l’on sût agir sur l’organisme des autres et ainsi sur leurs pensées sans avoir la science de l’organisme et de la pensée ?

ARISTE. — Je l’ai pensé quelquefois, Eudoxe.