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L. WEBER. – IDÉES CONCRÈTES ET IMAGES SENSIBLES.’ 55 ; presque plus rien de sensible, on s’attache de préférence à découvrir» de quoi se compose la matière des concepts ; dans ce cas on peut faire intervenir l’abstraction et la généralisation. Mais le procédé ne, réussit plus quand on s’adresse aux idées particulières, aux notions incessamment engendrées par le commerce que nous entretenons avec le monde extérieur. Ici, la forme, l’existence logique, ou simplement le fait d’être pensé comme notion, se montre dans son irréductibilité fondamentale, et l’on ne voit guère par quel moyen, à force d’abstraire et de généraliser, l’esprit créerait cette existence logique et ferait sortir l’être de la réalité sensible.

Toute idée est existence de même que tout jugement est affir- ·’ mation d’existence. En raison même de sa présence universelle et implicite dans l’énonciation, l’existence est, parmi les caractère s communs aux idées de toute espèce, le plus difficilement isolable par l’analyse. Précisément parce qu’elle donne aux diverses opérations de l’entendement leur qualité propre, sans laquelle il n’y aurait point d’entendement, la réflexion, en en étant également pénétrée dans toutes ses parties, ne s’en aperçoit pas. Nous ne sentons pas le poids de l’atmosphère au sein de laquelle nous sommes plongés parce que tous nos organes en subissent également la pression. Mais il est-des instants où, malgré l’empire de l’habitude, le tissu logique qui enferme l’esprit se déchire, et où la pensée se retire devant l’invasion de phénomènes psychiques plus rudimentaires, plus essentiels et plus anciens dans l’évolution. Une douleur aiguë, une émotion vive, par exemple, abolissent l’exercice invétéré de l’idéation, et la conscience, subitement privée de tous les schèmes idéaux qui la remplissent d’ordinaire, se retrouve seule à seule avec quelque chose qui n’est plus objet de pensée. Dans les états affectifs intenses le’moi et le monde extérieur disparaissent, les idées se dissolvent et, pour un moment, l’esprit cesse de fonctionner selon le mode accoutumé des jugements et des raisonnements. Lorsqu’ensuite nous essayons de ressusciter si peu que ce soit de ces scènes violentes de la vie intérieure, il nous semble que c’est un autre que nous qui les a jouées, qui a souffert et qui a été ému. C’est que le moi de la réflexion, celui qui dit je et qui se connaît par son nom, repose sur des idées, est lui-même une idée, tandis que la conscience antérieurement affectée, retournée à la simplicité primitive, ne participait plus à cet automatisme mental par’lequel se transforme en concept toute réalité. Quand la vie est en péril, la conscience, avant