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54 REVUE -DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE,

c’est que l’idée par elle-même est essentiellement étrangère à l’émotion. Le poète, quelquefois, y réussit, on ne sait par quel miracle ; peut-être parce qu’il renverse alors l’usage accoutumé de la pensée et de la parole, car il suggère au moyen de termes plus ou moins abstraits et généraux des états concrets et particuliers, au lieu que penser et parler conduisent presque inévitablement et naturellement a abstraire et à généraliser. Toutefois, si la fonction logique laisse ainsi de côté l’individu considéré comme une fin en soi, elle décuple ses forces en tant qu’élément social. Chez l’individu, l’image sensible suffit à mettre en mouvement les émotions et les appétits qui commandent les démarches utiles à la vie dans sa correspondance avec le monde extérieur. Dans la société, dans la collectivité organisée, ce sont surtout les idées qui remplissent ce rôle avec une puissance et une efficacité incomparablement supérieures. C’est pourquoi la pensée discursive a été le plus énergique agent de coordination et de synthèse des unités sociales. Elle a donné à la finalité des actions vivantes l’expression la plus complète et la plus précise. Il

En résumé, les idées naissent au contact de la réalité sensible donnée dans la perception par le développement de l’activité mentale suivant une voie qui s’écarte de celle où s’est engagée la perception. Plus on s’efforce de rapprocher les idées des percepts en prenant pour objet de comparaison celles dont le contenu est le plus immédiatement lié au contenu des perceptions, telles que les idées de choses concrètes et déterminées, plus au contraire on est frappé de la distance qui les sépare. L’ancien conceptualisme, qui prétend expliquer la genèse des idées par le jeu de l’abstraction et de la généralisation, ne se préoccupe en définitive que des> idées géné-, raies ou concepts. Appliqué aux idées particulières et singulières, son insuffisance devient manifeste. Est-ce seulement en abstrayant et en généralisant que j’ai acquis les notions des personnes de mon entourage, des êtres et des choses que je rencontre journellement ? Non, car des qualités abstraites assemblées ne sauraient produire une unité concrète, ni des attributs généraux une synthèse particuj lière, si à cet assemblage et à cette combinaison l’esprit n’apposait un sceau d’origine et de nature différentes. Lorsqu’on aborde le problème de l’idéation par les idées générales, dont la matière n’a