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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

définition ou une démonstration ; le nombre des chapitres, leur longueur, le nombre et la longueur des alinéas, tout cela dépend des notions à définir, ou des propositions à démontrer. Aucune préoccupation oratoire ni esthétique, aucune recherche d’arrondissement ou de symétrie, ne paraît : la décomposition de la matière se fait en vue de la distinction des idées. Aussi rien de plus pareil à l’œil que l’Esprit des lois de Montesquieu, la Politique de Bossuet, le Traité des passions de Descartes ; et rien qui présente plus que ces trois ouvrages l’aspect d’un traité de mathématiques.

Si maintenant nous passons à l’autre grande construction que nous ait léguée le xviiie siècle, à l’Histoire naturelle de Buffon, nous n’avons pas de peine à découvrir qu’elle procède d’une méthode différente, et même tout opposée. Il suffit pour s’en convaincre de lire le Discours « de la manière d’étudier et de traiter l’histoire naturelle ». On y voit les déclarations suivantes : « On doit commencer par voir beaucoup et revoir souvent… Il faut aussi voir presque sans dessein… Les premières causes nous seront a jamais cachées… Tout ce qui nous est possible, c’est d’apercevoir quelques effets particuliers, de les comparer, de les combiner… La seule et vraie science est la connaissance des faits ; l’esprit ne peut pas y suppléer… Les vérités mathématiques ne sont que des vérités de définition… elles ont l’avantage d’être toujours exactes et démonstratives, mais abstraites, intellectuelles et arbitraires. Les vérités physiques, au contraire, ne sont nullement arbitraires ;… au lieu d’être fondées sur des suppositions que nous ayons faites, elles ne sont appuyées que sur des faits… Nos connaissances en physique et en histoire naturelle dépendent de l’expérience et se bornent à des inductions. »

Selon ces principes, comment Buffon va-t-il présenter la théorie de la terre ? Par où commencera-t-il ? par la définition de la matière ? par la considération de ses propriétés essentielles ? par la recherche des lois abstraites du mouvement ? Nullement, mais par l’idée la plus brute et la plus commune que l’esprit dégage des sensations réitérées de la vie quotidienne et de l’expérience vulgaire. « Ce globe immense nous offre à la surface des hauteurs, des profondeurs, des plaines, des mers, des marais, des tleuves, des cassures, des gouffres, des volcans, etc… » Un enfant de l’école primaire comprendrait cela.

C’en est fini alors de la méthode cartésienne : une autre méthode va régner. C’est celle que définira, en France, Condillac, et dont il